Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Journal de Miranda

Le Journal de Miranda
Publicité
Archives
Le Journal de Miranda
21 décembre 2010

Ne m'oubliez pas

S176

J’ai longtemps cherché une photo qui me représentait vraiment ! Je ne voulais pas d’un cliché de magazine, qui ne dit pas grand-chose. Mais ça n’a pas été facile. Pourtant, je m’étais installée au salon, entourée de toutes mes collections d’albums. Mais j’étais perdue... en fait, j’étais trop tristounette pour me concentrer. J’ai tellement de mal à terminer ce journal ! Aussi, quand il m’a vu, Hannibal est venu m’aider. Nous avons feuilleté ensemble nos albums photos, en boule sur notre canapé... Et finalement, c’est lui qui a trouvé. De son index, il a tapé du doigt un des clichés. Et il m’a dit « C’est toi ! ». Et il sait mieux que personne.

Mimi.

Publicité
Publicité
21 décembre 2010

La Fin

Je me sens très émue. En effet, j’ai décidé d’arrêter mon petit journal. Cette envie n’est pas survenue d’un seul coup : je la mûris depuis plusieurs semaines. Mais pour l’heure, je n’avais encore jamais eu le courage de la mettre à exécution. En fait, j’ai un rapport très particulier à ce carnet où je note toute ma vie. Je l’adore ! Il est devenu ma mémoire, mes souvenirs, mes journées, mes pensées... il a tout recueilli dans son encre. Et surtout mon amour. Mon amour pour lui. Chaque jour, je courrais pour l’écrire et je m’en faisais une joie. D’ailleurs, il n’a jamais été contrainte. Je ne me suis jamais sentie acculée par son écriture. J’ai toujours voulu noter mes mots, j’ai toujours aimé ça. J’adorais raconter mes dernières péripéties ou mon quotidien avec Hannibal. Je revivais tous ces moments... et surtout, je les préservais pour plus tard. Je suis sûre que dans quelques années, je serais ravie de retrouver ce journal. Je relierai avec émotion tous ces jours et ces nuits avec lui. Que pensera la vieille dame que je serais de la jeune fille que j’ai été ? Sera-t-elle fière ? Me trouvera-t-elle naïve ou belle ? Se reconnaîtra-t-elle ?

Si j’avais pu, j’aurais continuer ce journal pour toujours. Je l’aurais écris chaque jour de ma vie jusqu’à la fin. Mais j’ai toujours su que cette belle aventure prendrait fin. En effet, écrire quotidiennement cinq ou six pages n’est pas une mince affaire ! Il était parfois difficile de trouver un créneau, deux heures pour griffonner. D’ailleurs, on peut vraiment dire que j’ai écris dans tous les endroits du monde. J’ai tapé à mon ordinateur dans un avion, sur une plage des Tropiques, dans un chalet au Canada ou un ranch australien, dans une voiture qui roulait vers New-York, dans un train en Russie ou dans les coulisses d’un défilé parisien. Ce journal a vu le monde entier. Et pour lui, j’ai toujours trouvé le moyen de m’isoler. Je me cachais dans un coin et j’écrivais. Parfois, j’étais interrompue. Parfois, je reportais d’une heure à cause d’un rendez-vous... mais je n’ai jamais lâché ! Même s’il fallait terminer en pleine nuit !

Mais aujourd’hui, ma vie me rattrape. J’ai un métier qui me prend beaucoup de temps. Je suis mannequin, même si ce n’est plus pour longtemps. Je suis styliste pour de la lingerie et je crée des cosmétiques. Je suis investie dans plusieurs associations de défense pour la planète et les animaux. J’ai également des amis que j’adore, comme Joachim et Arthur, Katie et Helmut, Sam et Dany, Natascha et Ian... Il y a ensuite ma famille, mon père, ma belle-mère, ma grand-mère et mémé. Sans parler de mes deux petites filles adorées, qui me demandent tant d’attentions au quotidien. Et bien-sûr, j’ai gardé le meilleur, le plus important pour la fin : il y a Hannibal. Mon amour, mon frère adoré. Celui pour qui j’ai écris ce journal. Il a d’ailleurs été très patient au cours des derniers mois pour me permettre d’écrire. Il savait que cette tâche comptait et il ne se plaignait jamais lorsque je perdais deux heures dans mon coin pour mes textes.

Quand j’ai commencé ce journal, je ne savais pas encore jusqu’où j’irais. Au départ, j’avais prévu d’écrire pendant une année. Cela me semblait suffisant pour raconter tout ce que j’avais à dire. Je voulais coucher sur le papier ma vie extraordinaire. Car elle l’a été ! Car elle l’est encore ! Et surtout, je voulais parler de cet amour sans fond, sans fin, qui me lie à mon frère. C’est pour lui et par lui que tout a commencé -comme le reste, comme ma vie. Il fallait que je nous dise. Je voulais raconter notre première rencontre sur le parvis d’une église, notre amour dans le désert, notre cavale, notre fuite, notre séparation... Mes souvenirs ont irrigué toutes ces pages. Malheureusement, je n’ai pas eu le temps terminer. J’ai été dépassée par l’ampleur de la tâche ! Je n’ai pu qu’atteindre le moment où nous nous retrouvons enfin, à la sortie de prison. Mais c’était l’essentiel. Je ne pouvais pas mettre un point final à ce journal sans avoir été réunie avec mon frère !

Pourtant, il me reste encore quelques souvenirs à partager : notamment le retour à la vie d’Hannibal, dans le désert de notre enfance. Ou notre mariage à Sainte-Hélène. Toutes ces choses qui nous ont construites, nous et notre couple. Pour cette raison, je sais que je reviendrais dans ce journal. Je terminerais ce que j’ai commencé. Mais pas maintenant. Je n’en ai plus le temps et je me sens un peu fatiguée. C’est justement pour ça que j’arrête maintenant : ce journal devait rester un plaisir. Et il l’a été ! Tellement ! Mais dans quelques mois, peut-être années, je reviendrais pour parler de tout ça. Je raconterais aussi tout ce que j’ai vécu entre temps -notamment notre déménagement en Argentine, notre nouvelle vie. Je sais déjà qu’elle sera longue et belle. Et je la partagerais aussi dans ces pages. J’attends simplement de retrouver un peu de feu. Et de poursuivre ma vie avec lui. En plus, beaucoup de choses vont changer dans les mois à venir. Je ne serais plus aussi disponible... mais ça me fera une grosse réserve de souvenirs !

Un an et sept mois ! C’est finalement le temps que j’ai tenu derrière mon écran. J’ai dépassé de sept mois mes espérances. Et j’ai d’ailleurs été étonnée par ma persévérance. Mais j’ai toujours été une grosse bavarde, une vraie petite pipelette ! J’ai aussi beaucoup changé durant cette période. J’ai commencé comme une jeune fille de 23 ans, mariée avec une petite fille, seule avec son grand frère et mari... et j’ai terminé avec une autre petite fille, après une réconciliation avec mon père et ma famille. J’étais aussi un simple mannequin au début. Et demain, je m’apprête à abandonner ma carrière pour me consacrer à l’élevage des chevaux en Amérique du Sud ! Tout peut changer, même en 19 mois ! Et puis, avec moi, il y a toujours des rebondissements, on ne s’ennuie jamais. Aussi, il ne faut pas être triste. Il ne faut pas pleurer ! Je vais être très heureuse avec lui, comme je l’ai toujours été. En même temps, il y aura toujours un « avant » et un « après » ce journal. Il m’aura beaucoup marqué. Mais on ne peut rien me souhaiter de plus que ce que j’ai déjà. Ma vie est si belle...

Et puis, ce journal a rempli sa petite mission : il m’a fait vivre avec mon frère. Il a d’abord montré qui j’étais, qui nous étions. Je n’ai rien caché de mon caractère, de mes bêtises, de ma naïveté, de mon entrain... J’ai tout partagé -même ma chambre à coucher ! J’ai levé le voile sur toute ma vie. Je crois que je ne m’étais jamais autant livrée, sinon à mon grand frère ! Et aujourd’hui, à l’heure de la fin, tout se mélange. Toutes ces journées magiques : la patinoire, la danse sur l’eau, les cotillons, l’éclipse, la baignoire dans le désert, les plumes, la poussière, les papillons, les roses blanches... toute notre magie ! Hannibal m’a tellement aimée. Il est en moi. Et cela transpirait dans chaque ligne. Je continuerais à vivre ces heures bleues loin de mon journal... mais il n’y en aura plus de trace, sinon dans ma tête... dans mon cœur... dans son cœur...

Maintenant, il est temps de dire « au revoir ».

Mais pas adieu.

Je vais fermer les yeux.

Je vais compter jusqu’à trois, et je ne serais plus là...


Un...

Deux...

Trois...

20 décembre 2010

Inauguration à Sao Paulo

S222     S223     S842     S224

Une nouvelle boutique V&I a ouvert à Sao Paulo ! Je n’arrive pas à croire au succès de cette marque ! Ma meilleure amie est partie de rien pour la créer, en vendant d’abord ses modèles sur Internet ! Et finalement, elle ouvre aujourd’hui des magasins dans le monde entier, aussi bien aux États-Unis qu’en Angleterre, au Japon, en Australie ou en France ! C’est vraiment extraordinaire ! Et cela prouve qu’il faut toujours croire à ses rêves !

S226     S227     S228     S229

Bien-sûr, je suis venue pour participer à l’inauguration. Et comme je suis la styliste de la lingerie V&I, je me suis fait un plaisir de présenter tous mes modèles à la presse ! J’en suis d’ailleurs drôlement fière, comme de mes crèmes entièrement naturelles au noni ! En plus, je trouve que je me diversifie vraiment -comme avec mon livre plein de secrets de beauté et de santé ! J’ai l’impression de sortir du cadre étroit du mannequinat, et cela m’aère ! Et c’est en grande partie grâce à Katie qui m’a offert une petite place au soleil de sa marque.

S225     S843     S230     S231

Notre ouverture s’est déroulée sans anicroche -à l’exception de la petite émeute en début de journée devant les portes de la boutique ! Mais c’était assez rigolo à voir ! En plus, nous nous sommes bien amusées avec Katie et Isabeli -l’autre mannequin qui représente sa marque, notamment la collection de prêt-à-porter ! En tous les cas, c’est une marque que je suis vraiment fière de représenter. Ce n’est pas comme Victoria’s Secret, qui me fait parfois un peu honte !

S232

Et puis, nous avons aussi profiter de cette journée de travail pour papoter ! D’ailleurs, comme toujours, nous avons surtout parlé de nos maris ! C’est notre principal sujet depuis des années ! Et c’est l’avantage de travailler avec des amies ! On ne se contente pas seulement de prendre la pose à côté de l’autre, on peut aussi parler, déjeuner ensemble, rigoler, dédramatiser quand un journaliste idiot nous a trop taquiné ! C’est très chouette ! Et je dis qu’on devrait seulement travailler avec des gens qu’on aime !

Mimi.

20 décembre 2010

Les Illuminations de Times Square

Je me dressais sur la pointe des pieds pour mieux voir. A cause de la foule, je me sentais un peu perdue. Et malgré ma grande taille, je me contorsionnais pour assister au spectacle. Je ne voulais pas en perdre une miette ! D’ailleurs, je me sentais excitée comme une puce ! Je gigotais, tapant des pieds et des mains avec enthousiasme -et aussi pour me réchauffer ! En effet, les températures avaient encore dégringolé. L’hiver était plus rude que jamais alors que la neige tombait sans discontinuer depuis plusieurs jours. Dans les rues, des strates blanches engloutissaient tout -les avenues, les paliers, les perrons des immeubles. On se serait cru à la montagne. Et la circulation était toujours aussi ralentie avec ses voitures qui roulaient au pas, ses conducteurs qui pestaient et ses naufragés aux pneus crevés. Malgré tout, j’aimais bien cette ambiance ! Car avec les automates des vitrines, les guirlandes et les boules de houx, cela sentait Noël ! Il y avait des sapins, des paillettes dans tous les recoins. C’était la magie des fêtes.

Emmitouflée dans un gros anorak, je me hissais sur mes orteils. J’avais eu le temps de retirer mes chaussures à talons pour enfiler de grosses bottes. Et j’avais également jeté à mon cou une écharpe avant de me ruer sur mes moufles. La nuit promettait d’être glaciale. Mais cela ne douchait pas mon impatience. Au contraire, j’étais électrisée, comme le reste de la foule. Il montait un élan de la masse des gens -plusieurs centaines, peut-être milliers de personnes rassemblées dans Times Square. Cela formait une émulation. On se sentait gagner par la joie, les rires, les chants de ses voisins. Et je n’étais pas imperméable à cette atmosphère fraternelle, un peu naïve et bête. En fait, j’adorais la guimauve et les bonnes intentions. Et je souris à mes voisins, enchantée par les corps qui se pressaient. Nous étions tous entassés les uns contre les autres. Nos manteaux frottaient, nos pieds s’écrasaient... mais nul ne songeait à s’en plaindre. Nous étions tous là pour la même chose. Et nous en profitions.

Un gros frisson secoua mon échine. Il n’était pas facile de résister à l’hiver en pleine nuit. Plus encore qu’en plein jour, il fallait lutter contre la glace, la buée blanche qu’on expirait, le vent qui soufflait. D’ailleurs, la bise me sifflait aux oreilles depuis un moment. Et sous le bonnet, mes longues mèches châtains s’agitèrent en tout sens. J’étais balayée, secouée comme une poupée. Mais je luttais, arcboutée en arrière. Et je serrais mes bras autour de ma poitrine -en fait, on aurait dit que je m’étreignais. D’ailleurs, tous mes voisins m’imitaient dans les rires. Il n’y avait pas de chochottes même si certains petits enfants, énervés par l’heure tardive, geignaient et pleurnichaient. Pour ma part, je ne me laissais pas déconcentrer. Et je scannais d’un regard l’horizon. Arrivée un peu en retard, j’avais dû me contenter des places qui restaient. Je m’étais faufilée aussi loin que possible dans les rangs. Et depuis mon arrivée, d’autres colonnes étaient encore venues grossir la foule. Aussi, je me trouvais maintenant coincée en plein milieu du rassemblement.

Le vent hurla dans l’immense avenue. Et brutalement, je sentis quelque chose s’abattre sur mes épaules. Je retins un cri de surprise. Et je sursautais violemment, toujours aux aguets. Mais bientôt, une vague de chaleur m’envahit. Cela détonait avec les frimas ambiants. Et aussitôt, un rire retentit derrière moi, rauque et familier, alors que deux mains entouraient mes épaules. Surtout, un poids pesait sur mon dos, comme si j’étais enveloppée dans un cocon. Je fis volte-face, tournant la tête avec vivacité. Et je croisais les yeux de mon frère, d’un bleu intense. Il me souriait malgré sa peau bleuie et ses cils glacés, un peu collés. En fait, il venait de poser une énorme couverture sur mes épaules pour me protéger de l’hiver. Et je lui rendis son sourire, émue et touchée -amoureuse, surtout. D’instinct, je cherchais sa main, repoussant le tissu pour atteindre ses doigts. Et je portais sa paume à ma bouche dans un baiser. Il avait enfin réussi à me rejoindre ! Nous avions été séparés quelques minutes pendant qu’il avait garé la voiture dans une rue latérale.

-J’avais peur que tu ne me retrouves pas ! Il y a au moins cinq mille personnes !

-Je te trouverais toujours, même dans une foule, même sans te chercher !

Nos yeux se répondirent, brillants. Et mon sourire s’agrandit alors qu’il brandissait devant moi son chargement. Il avait apporté avec lui deux gros thermos de boissons chaudes -thé vert et café- pour tenir le coup. Et ce n’était pas inutile alors que nous tremblions tous les deux de froid. Par chance, il avait arrêté de neiger. Les flocons n’étaient jamais très loin en cette fin d’année, comme une menace blanche et belle. Je m’empressais alors d’ouvrir la couverture pour lui faire une petite place. Et très vite, nos corps se serrèrent sous l’épais mohair. On se collait l’un à l’autre tout en réprimait des claquements de dents. Mais cela en valait la peine. Aussi, je refermais la cape sur nous. Elle tombait jusqu’à nos chevilles comme un bouclier. Et bientôt, mon frère me tendit une timbale en plastique d’où s’exhalait une liquide fumant. On voyait un petit halo blanc qui dansait en volutes. Cela me rappelait le calumet de la paix ! Et j’éclatais de rire en absorbant une première gorgée -si brûlante qu’elle me tira des larmes et un petit cri ! Hannibal se mit à rire, buvant à plus petites gorgées son café noir.

Nous attendions ensemble le spectacle. Et nous avions l’air de deux enfants avec nos yeux qui furetaient, nos têtes qui se tordaient. Il ne restait qu’un petit quart d’heure avant le début ! Et une rumeur émanait de toute l’avenue comme une vapeur d’eau. Cela montait des pavés, comme au-dessus de ma tasse. Et cela tournait jusqu’aux toits, ricochant sur les fenêtres, les autres rues. Tout le monde s’impatientait. Des bottes piétinaient alors que des corps comprimés se tortillaient. Par chance, nous étions encore intacts. Et nous pouvions boire nos gobelets tranquillement. Je le vidais d’ailleurs presque d’une traite -même si ça faisait mal ! Le thé m'ébouillanta la gorge ! Mais je me servis une seconde tasse alors que le rouge me revenait aux joues. Ça me réchauffait. Et ce n’était pas désagréable ! De même, Hannibal reprenait des couleurs, quittant son masque bleui pour une peau plus rose, plus saine. Nos tasses s’entrechoquèrent alors. Nous trinquions à nous, à notre nuit, à notre spectacle !

En fait, nous étions venus pour assister à l’illumination de Times Square. Il s’agissait d’un événement très important pour tous les new-yorkais. En effet, chaque année, d’immenses sapins étaient dressés sur la place, au bout de l’avenue la plus célèbre de la ville. Couverts de guirlandes électriques, croulant sous les décorations, ils étaient allumés à la veille de Noël, pour les fêtes. Et à chaque saison, une nouvelle célébrité était invitée pour appuyer sur le bouton magique qui embraserait tout. D’ailleurs, je regrettais bien qu’on ne m’aille rien proposé ! J’aurais adoré allumer New-York ! Mais on n’avait pas pensé à moi -ce qui me faisait un peu bouder dans mon coin. En même temps, je n’étais pas vraiment une star... mais l’actrice d’opérette qui avait été choisie non plus ! En fait, j’étais même un peu plus connue que la blonde demoiselle ! Mais je haussais les épaules avec une petite moue mesquine alors que j’absorbais encore une rasade de thé bouillant. Et je savourais la bonne humeur générale. J’adorais cette communion de la foule... l’esprit des fêtes... la bonté et la joie...

De son côté, toute cette niaiserie écœurait un peu mon frère. Et lorsque je le regardai à la dérober, je découvris qu’il levait encore les yeux au ciel ! J’éclatais de rire ! Et je lui assénais un petit coup de coude dans les côtes -qui manqua de lui faire renverser son café par terre ! Nos rires fusèrent. On se chamaillait toujours pendant les fêtes -c’était aussi une tradition ! Mais Hannibal promit de se contrôler au moins pour cette nuit. Et comme des moineaux, nous nous rapprochâmes encore sous la couverture pour partager notre chaleur. Alentour, nous étions les seuls à avoir pensé à prendre une couette. Et quelques regards envieux fusèrent vers nous. En même temps, nous étions dans notre monde. On mélangeait nos doigts, on échangeait nos tasses. Je goûtais avec une affreuse grimace son café. Puis je me blottissais contre lui, plus douce encore que le mohair. En avant, on entendait aussi le chant de la chorale. Une centaine d’enfants, tout vêtus de blanc, était venue chanter devant les grands sapins. Et de leurs voix purs, ils entonnaient tous les refrains de Noël, sur la crèche et les cadeaux.

Des « vivas » explosèrent soudain autour de nous. Je ne compris pas tout de suite. Je cherchais dans la foule une réponse alors que les arbres étaient encore éteints. Mais très vite, je remarquais aussi les premiers flocons qui tombaient ! Des petits bouts de coton descendaient en tourbillons du ciel, pour parfaire notre décor ! On aurait dit que cette chute avait été commandée exprès par le maire, pour notre nuit ! Comme une petite fille, j’élevais alors une main en l’air pour attraper une fleur blanche, froide. Et Hannibal m’imita, aussi enthousiaste, aussi gamin. Quelques pellicules se prirent alors dans mes cheveux et dans les poils de la couverture. Et j’applaudis en même temps que la foule, ravie par cette avalanche inattendue ! A présent, on aurait dit qu’une tempête de cristal s’abattait sur nous. Mais parce que le vent était moins fort, la neige restait douce. Elle virevoltait avant de s’écraser en silence sur les voitures, les trottoirs et les couches blanches qui recouvraient déjà la terre. Je tournais alors la tête vers mon grand frère. Et il me sourit avec douceur avant de déposer un baiser sur mon front, pour me bénir. Mes yeux pétillèrent. Je l’aimais à la folie. Et cela suintait par tous les pores de ma peau.

Sous la neige, Hannibal reprit alors sa position. Depuis un moment, il se tenait derrière moi. Ma dos reposait contre sa poitrine alors qu’il me serrait. Ses bras étaient placés en croix devant moi, sur mes seins. Il me réchauffait. Et on aurait dit qu’il m’empêchait de tomber en avant -en fait, je crois qu’il me protégeait surtout de la foule. Et je me complaisais dans son odeur, près de sa peau malgré les couches de vêtements. Plus encore, à cause de sa haute taille, il me dominait de la tête et des épaules. Et il avait niché son menton au sommet de mon crâne, dans mon bonnet en laine. J’en sentais l’os, la pointe un peu dure et piquante à cause de la barbe. J’étais bien. Je poussais alors un petit soupir de contentement, à mon aise. Surtout, c’était lui qui tenait maintenant la couverture. Il gardait les angles dans ses mains alors qu’il avait rabattu la grosse laine sur nous. Et elle tombait comme une cape qui nous enrobait entièrement. Son ourlet fouettait nos chevilles, ramassant la poudreuse au sol. Je penchais alors la tête en arrière, pour me renverser sur son épaule. Et je savourais sa chaleur, à l’abri dans notre poncho. J’étais heureuse.

En fait, Hannibal m’avait donné rendez-bous devant notre appartement en début de soirée. En effet, nous avions chacun travaillé de notre côté au cours des dernières heures. Et nous avions même été séparés par des centaines de kilomètres ! Ainsi, j’avais dû me rendre au Brésil pour mon travail, à Sao Paulo ! Ma meilleure amie ouvrait une nouvelle boutique de sa marque V&I au bout du monde ! Et j’étais partie prenante de cet événement, à la fois en tant qu’égérie de la marque et en tant que directrice artistique de la ligne de lingerie ! C’était d’ailleurs une aventure très excitante ! Et je m’étais rendue, survoltée, à l’inauguration ! En fait, c’était tellement plus drôle que la promotion pour Victoria’s Secret. Il n’y avait pas de mannequins malhonnêtes ou de patrons mal intentionnés. Seulement ma meilleure amie, toujours sublime et douce, et ses autres modèles phares -notamment Isabeli Fontana, la brésilienne solaire et forte tête que j’admirais depuis des années. D’ailleurs, nous nous étions bien amusées ! Ce n’était pas tous les jours qu’on se rendait au Brésil et qu’on intéressait la presse du pays grâce à sa réussite !

Dans la boutique, j’avais papillonné d’un portique à l’autre pour présenter les articles. J’avais aussi donné quelques interviews aux différents journalistes qui couvraient l’évènement. Un monde fou était venu ! Il y avait même eu une petite émeute devant les vitrines de la boutique flambant neuve ! Plusieurs dizaines de personnes s’étaient retrouvées écrasées contre les portes en verre -et j’avais dû me cacher sous le comptoir du magasin pour réprimer un gros fou-rire. Avec Isabeli et Katie, nous nous étions retrouvés à quatre pattes sous la caisse-enregistreuse à cause de tous les visages tordus et plaqués aux vitrines ! C’était trop drôle à voir ! Par chance, nous avions fini par retrouver notre sérieux, notamment face à la télévision. Et j’avais même pu parler de mes prochains projet avec la marque -lancement de mon premier parfum et d’une gamme de cosmétique éthique et biologique ! Cette journée avait été rondement menée. Aussi, j’étais quand même rentrée bien fatiguée du Brésil... mais pas au point de repousser une invitation d’Hannibal.

De son côté, mon frère avait également assumé une lourde journée de travail. Il était encore question d’un contrat pour lequel il rencontrait ses indicateurs -même s’il avait refusé de me donner plus de détails, toujours par sécurité. Depuis toutes ces années, j’étais habituée à ses méthodes. Et j’étais d’ailleurs bien contente que cela touche bientôt à son terme. Dans peu de mois, nous allions tous les deux embrasser une nouvelle vie, quitter deux mondes qui ne nous convenaient pas. Nous étions deux âmes sauvages, indociles... nous n’étions pas faits pour l’univers de la mode et des chausseurs de prime, des grandes villes et des foules. Notre sang parlait seulement de désert, de grand espace... et de l’autre... rien que de l’autre... Aussi, je regardais avec un peu de distance tout ce que j’accomplissais pour mon travail. Bien-sûr, il n’était pas question d’abandonner Katie à la tête de V&I. J’allais continuer à dessiner la lingerie, à réfléchir à un maquillage sans danger pour la nature. Cela s’accordait bien à mon engagement pour la planète. Mais je n’allais plus défiler, ni poser. J’allais travailler en Argentine et ne sortir qu’en cas d’urgence.

Mais pour l’heure, il n’était pas encore question de ces projets lointains. A ma sortie de l’avion, je m’étais précipitée vers l’Upper East Side où j’habitais. Et j’avais retrouvé mon mari devant le perron de l’immeuble. Je m’étais même jetée sur lui pour l’embrasser... et aussi vite, sans un mot et sous ses rires, j’étais montée en courant à l’appartement. Là, je m’étais débarrassée de ma belle robe et de mes chaussures pour enfiler des couches et des couches de laine. Puis j’avais claqué la porte et voler vers lui -sans pour autant réveiller mes filles, qui dormaient déjà ! C’était un véritable tour de force que j’avais accompli ! Et à présent, je profitais de notre nuit magique, au cœur de Times Square. Hannibal avait voulu me faire plaisir avec cette sortie. Il savait combien j’aimais m’imprégner de l’esprit des fêtes. Et il avait même mis son cynisme de côté pour me plaire. Et alors que je somnolais à demi dans ses bras, dans sa douce chaleur, la foule se mit à rugir. Je sursautais violemment. Je ne m’étais pas rendue compte que je végétais contre lui. C’était sans doute le contre-coup de ma journée !

Comme un dodo, je tournais la tête en tout sens. Que se passait-il ? Était-ce enfin le grand moment ? Je me dressais sur la pointe des pieds, aidée par Hannibal. Ses bras me ceinturaient pour me surélever -peut-être parce qu’il avait senti ma grosse fatigue. Et soudain, j’isolais enfin les paroles de la foule. Tous les gens étaient en train de procéder au fameux décompte ! Dans moins d’une minute, les sapins allaient s’embraser de mille feux. Grisée, je serrais mes mains l’une contre l’autre. Et au-dessus de moi, j’entendis alors la voix rauque d’Hannibal qui déclamait aussi les secondes. Apparemment, il se laissait enfin gagner par la bonne ambiance.

Vingt! Dix-neuf ! Dix-huit !

Je criais en même temps que les autres, déchaînée ! J’étais maintenant excitée comme une puce, au point que je refoulais mon envie de dormir ! Mon corps frétillait tandis que je me tendais vers les grands arbres, tout au bout de la rue !

Quinze ! Quatorze ! Treize !

Sous la couverture, Hannibal croisa les doigts avec moi pour que tout se passe bien ! Bêtement, nous avions l’impression de vivre un moment très important, sinon historique ! Et puis, cela nous rappelait aussi l’arrivée de la nouvelle année ! C’était comme une répétition !

Cinq ! Quatre ! Trois ! Deux ! Un ! Zéro !

Aussitôt, une déferlante de lumières jaillit. C’était... grandiose ! Ma bouche s’arrondit, muette, alors que les clameurs de la foule montaient jusqu’au ciel. On applaudissait dans tous les coins, ravis, emballés. Mais le spectacle était simplement... magique ! Avec des yeux d’enfant, je contemplais les immenses sapins qui tutoyaient les nuages blancs. Ils ruisselaient à présent sous les guirlandes jaunes. On aurait dit qu’ils étaient habillés de lumière. Leurs branches penchaient, alourdies par le poids des bougies, des ampoules. Ils se dressaient comme des spirales de feux, comme des phares dans la nuit. Je ne pus retenir un petit soupir d’admiration. Cela ressemblait à un rêve. Et je dévorais du regard les belles boules rouges et or, les petits bonhommes en bois et les sucre d’orge. En plus, les sapins avaient vraiment une taille magistrale, hauts de plusieurs mètres. On se sentait tout petit à côté d’eux. Et ils m’en imposaient alors que leurs lumières se reflétaient sur mon visage. Toute la foule était baignée dans leur flaque dorée. Je le remarquais sur Hannibal, alors que j’avais tourné la tête vers lui. D’instinct, je cherchais son approbation, son avis. Et malgré son peu d’amour pour les fêtes, je surpris des yeux qui étincelaient alors qu’il se gavait de beaux souvenirs, qu’il enregistrait chaque détail. En fait, cela lui plaisait drôlement ! Et il redevenait enfant -bien qu’il ne l’ait jamais vraiment été- face à la magie des illuminations.

-C’est très beau, murmura-t-il à mon oreille.

Je hochais vigoureusement la tête. Mais le spectacle de sa joie me remuait encore plus que les sapins. Et je ne pouvais plus m’arracher à son contemplation. Toute la lumière se mirait sur lui. Et j’aurais pu le regarder pendant des heures si la foule n’avait pas commencé à s’agiter. En effet, l’excitation gagnait du terrain. Les corps se pressaient de plus en plus alors que certaines personnes voulaient déjà partir. C’était dommage ! On n’était jamais repu de ce genre de spectacles ! Autour de nous, un gros brouhaha s’éleva, de plus en plus fort ! Mais je ne me laissais pas trop distraire. Pourtant, de son côté, Hannibal s’était détourné des sapins. Il se laissait gagner par la nervosité des gens, prévoyant déjà le pire. Mais d’un autre côté, il ne voulait pas gâcher notre sortie. Aussi, il trouva une solution radicale. Et aussitôt, je me sentis soulever en l’air... à ma grande surprise ! Je poussais alors un petit cri aigu. Ses mains s’étaient abattues sous mes aisselles. Et mon frère me porta au-dessus de sa tête, m’élevant au-dessus de la mer des visages. Que faisait-il ?

-Hannibal !

-Tu verras encore mieux de là-haut !

Alors, en une seconde, je me retrouvais sur ses épaules. Il m’avait hissée sur lui comme si j’étais une plume. Et il m’avait installée comme une petite fille, au sommet de sa tête, une jambe de chaque côté. J’éclatais finalement de rire, yeux écarquillés. C’était tellement inattendu ! Et sa force m’impressionnait alors que je pesais entièrement sur lui. Il m’avait aussi abandonné la couverture, qui dégoulinait encore dans mon dos et que je tenais d’une main. A présent, je voyais parfaitement les sapins -je pouvais même admirer leurs pieds et les premiers rangs de la foule ! Et si Hannibal prétextait une meilleure vue, c’est surtout qu’il avait voulu me protéger des gens. Il avait brusquement craint un mouvement de foule. Et il m’avait juchée sur lui ! J’entourais alors sa gorge de mes deux mains, un peu maladroite, comme une petite fille tient son cheval. Il se mit à rire avec moi. Et plutôt que de regarder les sapins, je me penchais sur lui. Je le regardais d’en haut alors qu’il devait lever les yeux sur moi pour recueillir mon plus joli sourire. Et pendant longtemps encore, je l’admirais à la lueur des guirlandes. Seuls dans la foule.

Miranda.

19 décembre 2010

Belle d'Hiver

Q314     Q315

Quel froid de canard ! Il n’arrête plus de neiger sur New-York et il faut sortir emmitouflé jusqu’au cou. Je pense qu’on ne peut pas être belle en hiver ! C’est impossible ! Autant on peut être jolie et sexy en été, avec le soleil et les maillots de bain... autant on est moche sous la neige, avec les bonnets, les gants, les écharpes, les bottes, les pulls ! On a l’air d’avoir pris trente kilos. Tous les gestes sont maladroits ! D’ailleurs, c’est simple : je pense qu’il y a plus de divorce en hiver ! C’est obligé ! En même temps, j'ai pris des photos où je ne m'en sors pas trop mal ! Je frime !!!

Mimi.

Publicité
Publicité
19 décembre 2010

A reculons

Son corps me réchauffait. Je sentais à peine le froid pendant que je me collais à sa poitrine. Et nos anoraks crissaient tandis qu’il me gardait contre lui. Il avait passé ses bras dans mes dos, presque au niveau des reins, alors que je le tenais par la nuque. En fait, nous avions l’air de deux bonhommes de neige perdus sous une montagne de vêtements. Et, ensevelis sous les couches de laine, d’écharpes et de pulls, nous n’avions plus l’air très séduisant. Pourtant, nos baisers étaient toujours aussi passionnés -même si le pompon de mon bonnet dansait au sommet de ma tête. Nous ne nous laissions pas distraire par notre aspect. Même mon bout de nez rougi ou ses lèvres bleuies, un peu craquelées, ne rentraient pas en compte. D’ailleurs, certains promeneurs se retournaient sur nous, étonnés par notre proximité. Aucun couple n’avait le courage de s’embrasser, ni de s’étreindre au milieu d’une tempête de neige. Les gens accéléraient le pas pour rentrer chez eux, pressés de fuir le blizzard. Mais rien ne nous délogeait. En fait, rien ne nous troublait. Ou seulement l’autre. Le reste n’existait pas.

New-York avait disparu sous les couches glacées. Dans les rues, la circulation tournait au ralenti. Toutes les voitures s’enlisaient, projetant des gerbes blanches sur les trottoirs et les malheureux passants. Toutes les avenues étaient ponctuées de crissements de pneus, d’accidents de la route à cause des plaques de verglas. Surtout, le ciel n’avait jamais semblé aussi bas et sombre au-dessus des immeubles. On aurait dit qu’il faisait nuit. Pourtant, l’après-midi commençait tout juste alors que le soleil se cachait derrière des nuages ternes, chargés de flocons. En fait, toute la ville dormait sous une bulle de givre, en apesanteur. A chaque pas, on entendait la neige qui crissait sous les chaussures. On s’enfonçait jusqu’aux mollets dans la poudreuse. Et on respirait par la bouche, gênés par l’air tranchant comme du verre, vif comme une griffe. Malgré tout, j’aimais bien cette saison. Je persistais à la trouver romantique, naïve, un peu à côté de la plaque. Et alors que les badauds pestaient, comme les automobilistes qui noyaient leurs moteur, je me réjouissais. L’hiver me plaisait comme un paradis blanc.

Le goût d’Hannibal remplissait ma bouche. Il dilatait mes pupilles, rappelant une addiction. Et mes yeux de chatte brûlante se troublaient, étirés sous une frange de cils noirs. Nos lèvres se caressaient, nos nez se frôlaient. C’était un ballet que je connaissais. Et il chauffait mes veines jusqu’à ébullition, dissipant le froid qui me mangeait la peau. Dans notre monde, je tirais alors la fermeture éclair de ma parka. J’avais besoin de m’aérer, de respirer. C’était mon plein été. Et le petit zip glissa, révélant mon gros pull gris à col roulé. J’étais presque soudée à la poitrine de mon frère. Cela me protégeait. Mais parce qu’il faisait très froid, Hannibal tendit aussitôt la main vers ma taille. Et, sans cesse notre baiser, il remonta aussitôt la fermeture avec autorité. Il n’était pas question que je me découvre, que j’attrape froid. Et je retins un sourire, trop concentrée sur sa bouche, pour céder au rire. Il fallait dire que je n’étais pas très prudente. Je me croyais toujours en Australie. Et malgré la tempête, il m’arrivait encore de sortir sans manteau -même si Hannibal me rattrapait toujours sur le palier.

A mes yeux, Noël avait toujours été la fête du soleil, du sable et de la plage. J’avais connu plus de barbecues que de bûches glacées, plus de palmiers que de sapins. Et avec l’insouciance des enfants, je vivais encore mon été austral à l’autre bout du monde. Prisonnière de mon anorak, j’émis alors un petit bruit rauque -du mécontentement ! Et cette fois-ci, Hannibal étouffa un rire contre mes lèvres. J’étais toujours aussi espiègle et enfantine. Mais je ne le lassais pas. Et bientôt, sa main glissa dans mes cheveux, sous le bonnet, alors qu’il inclinait ma nuque en arrière. Nous étions assis sur un banc public au milieu de Central Park. Derrière nous, un grand saule aux branches nues pleuraient ses feuilles dans la neige. Toute sa chevelure s’effondrait comme une masse, un rideau. Et grâce à elle, nous étions coupés des allées latérales. Depuis que nous habitions cette ville, c’était devenu notre coin. Et à chaque fois que nous visitions le parc, nous nous réfugions toujours dans la toison de l’arbre, à l’abri des autres.

Miranda + Hannibal

L’inscription trônait parmi les autres, perdue au milieu d’une foule de petits mots, de tags, de dessins. Je l’avais griffonnée sur une latte de bois qui rentrait à présent dans mon dos. En fait, il y avait longtemps que j’avais marqué le banc à notre nom. Et malgré les années, il était toujours resté. En vérité, j n’avais jamais perdu mes goûts d’adolescente alors que je m’amusais à tracer des petits cœurs ou à écrire sur les troncs des arbres. Durant notre cavale, j’avais sculpté nos initiales à travers le monde, dans tous les motels, dans toutes les stations services. Et je ne m’étais pas arrêtée avec l’âge. Aussi, je poussais un petit soupir alors que mes omoplates frottaient contre la gravure. Je la sentais. Doucement, Hannibal se dégagea alors. Et, visage tout proche, il me contempla en silence. Il aurait pu me toucher du bout du nez s’il s’était penché davantage. Il ne manquait qu’un millimètre. Mais il gardait un peu de recul pour m’admirer. Pourtant, je n’étais pas très jolie avec mes joues cerclées de rouge, comme une matriochka. A nouveau, ses lèvres me frôlèrent. Et nous échangeâmes nos souffles dans un gros nuage blanc. Nous partagions même notre buée, créant une fumée qui cachait nos amours.

Nos doigts s’entremêlèrent, perdus dans des pattes de laine. Nous portions de gros gants qui rappelaient des moufles d’enfants pour survivre à l’hiver. Et, pour s’amuser, mon frère joua à nouer et dénouer nos paumes. A présent, il me recouvrait à moitié. Mon dos était enfoncé dans les lattes de bois verts alors qu’il était couché sur moi, m’écrasant entre son torse et le dossier. Mais je ne m’en plaignais pas. En fait, j’avais l’impression qu’un bouclier se dressait entre moi et la tempête. En effet, au ciel, des petits flocons tournoyaient encore. Et peu à peu, ils s’ajoutaient aux strates blanches qui étouffaient déjà le parc. Il était déjà tombé un bon mètre de neige. Et malgré l’effort des cantonniers, les allées et les routes n’avaient pu être complètement dégagées. C’était une année glaciale. Tous les deux jours, la poudreuse revenait, tombant entre les immeubles comme du sucre glace. Et j’aimais ces fleurs de coton, ouvrant déjà la bouche pour en avaler une, ou deux, ou trois. Je jouais comme un petit chiot. Et mon frère éclata de rire alors qu’il chassait les pellicules prises dans mes cheveux.

-Je vais devoir partir.

-Non ! Pas tout de suite ! Pas maintenant !

C’était la troisième -ou la quatrième fois que nous répétions cette échange. Aussi, mon frère secoua la tête avec une sorte de résignation mêlée d’amusement. Depuis une bonne heure, je refusais qu’il parte. Et je m’accrochais à lui comme une petite sangsue, incapable d’accepter qu’il me quitte, qu’il s’évapore dans l’hiver. D’ailleurs, j’avais refusé qu’il me raccompagne à l’appartement. Et depuis un moment, nous occupions notre banc préféré, entourés des paquets que nous avions achetés. En effet, nous avions profité de notre matinée pour terminer nos courses de Noël. Les fêtes approchaient et se profilaient à grands pas, comme une ombre joyeuse. Aussi, je ne me tenais plus en place, trop impatiente. J’avais toujours adoré les célébrations, la famille, les cadeaux. Et du matin au soir, je fredonnais des chants traditionnels alors que j’exhumais de vieilles recettes de cuisine. En plus, à présent, tout notre appartement croulait sous les décorations. Avec ma grande fille, nous avions accroché boules, étoiles et couronnes jusqu’au plafond.

Mon frère me jeta un regard un peu désemparé. Il ne pouvait plus reculer davantage son départ, alors qu’il avait déjà fait une lourde entorse à son emploi du temps. En effet, il devait rencontrer un dernier client avec les fêtes -un ami du sénateur qui l’exploitait et qui sollicitait son aide. Ce devait être son dernier contrat. En effet, Hannibal n’avait pas oublié sa promesse, ni nos projets d’exil en Argentine. Cette année promettait d’être belle, peut-être la plus belle de nos vies. D’ailleurs, je prévoyais aussi mon retrait du monde de la mode, qui m’indifférait de plus en plus. Et sur le banc, je lui lançais un regard dépité, toute triste. On aurait dit une pauvre petite biche aux abois. Et très vite, mes mains s’agrippèrent au col de son manteau pour le retenir. Pourtant, il ne devait pas partir bien longtemps. Il s’agissait seulement d’un rendez-vous dans le petit salon d’un palace, à quelques rues de notre immeuble. Mon frère serait rentré pour le dîner. Mais après notre matinée, je n’avais pas envie de rester seule alors que nous avions couru les boutiques ensemble. Je n’étais pas un petit animal fait pour la solitude. Je n’aimais que les contacts, les câlins, la chaleur d’un autre corps. Aussi, je me lovais sur son épaule, mes ongles toujours plantés dans sa parka. Il n’allait pas se débarrasser de moi facilement.

-Tu es sûre que tu ne vas pas que je te raccompagne à la maison ? Tu ne pourras pas porter tous ces paquets toute seule.

Je haussais les épaules, boudeuse. De toute manière, je n’avais pas le cœur à penser à tous ces détails techniques qui me barbouillaient la tête. Pourtant, mon frère n’avait pas tort. Nous avions dévalisé les magasins pour terminer nos achats de Noël. En effet, après les cadeaux des filles et de la famille, que nous avions accumulés la semaine dernière, nous avions acheté des présents pour nos amis. Il avait fallu trouver une attention pour chacun. Et j’avais même dressé une petite liste d’idées avec laquelle je m’étais promenée dans tous les rayons, ravie par le décor des boutiques et les vitrines enchanteresses où s’activaient des automates et des lutins. Katie et son mari, Joachim et son fils, Ian et Rodriguez, Dany et son futur bébé, Natascha, Sam et son grand-père. Nous n’avions oublié personne ! Et à présent, il ne nous restait plus qu’à penser aux petites attentions, pour les personnes que nous croisions parfois et qui comptaient quand même. Mais ce n’était guère à l’ordre du jour. En effet, après plusieurs heures dans les grandes surface, chez les antiquaires ou les bijoutiers, nous avions déclaré forfait. Et nous avions terminé la matinée dans un restaurant avant de hanter le parc de nos baisers.

A présent, je devais rentrer à la maison, dix paquets sous chaque bras. Mais ma petite moue tremblotait alors que je secouais vivement la tête. J’envoyais voler de grandes mèches châtains de droite à gauche, tristounette. Mon frère coinça alors mon menton dans une de ses mains -en fait, il écrasait tout mon visage dans une de ses paumes. Et cela me donnait des allures de mérou qui lui arrachèrent un sourire. Doucement, il déposa un dernier baiser sur ma bouche de poisson.

-Je vais appeler un taxi, même pour quelques rues. Il t’attendra à la sortie du parc.

-Tu ne peux pas rester encore dix minutes ?

-Non, il faut vraiment que j’y aille.

-Et cinq minutes ?

-Non, ma belle, non.

-Deux minutes, alors ?

Hannibal secoua la tête, bien embarrassé alors que je marchandais. Mes yeux éplorés remplissaient mon visage comme deux grosses flaques d’eau. En même temps, je ne pouvais pas lui en vouloir. Il m’avait déjà donné cinq minutes, et encore cinq minutes... jusqu’à former une heure. Ou plus ! A présent, son client devait follement s’impatienter, même s’il l’avait prévenu d’un retard. Aussi, mon frère quitta enfin le banc, se déployant avec peine alors que je le tenais toujours par les mains. J’avais caché mes petites menottes dans ses paumes, trouvant abri dans ses poings couverts de laine. Je m’y sentais si bien ! Il rejeta ses épaules en arrière alors que ses os émettaient un petit craquement -nous étions restés recroquevillés sur l’autre très longtemps. Et il étira ses jambes, secouant même ses bottes pour chasser la neige qui s’accumulait déjà. Alors, avec galanterie, il baisa mes mains l’une après l’autre. Je souris. Puis ce fut le vide. Je venais de perdre son contact alors qu’il reculait déjà d’un pas. Un après-midi, ce n’était pas très long. Mais je n’avais plus envie de perdre mon temps loin de lui, surtout après la promesse d’une autre vie. En effet, je rêvais de plus en plus à ce qui nous attendait après, en Amérique du Sud. Et avec mon frère, nous en parlions souvent dans notre chambre, étendus dans notre lit quand toutes les lumières étaient éteintes. Quand la ville dormait, nos cœurs battaient plus fort.

Mon frère esquissa un pas, puis un autre. Mais il ne me tournait toujours pas le dos, me faisant face en dépit des plaques de verglas qui parsemaient son chemin. Il ne semblait toujours pas prêt à quitter mon image. En fait, il me dévorait toujours du regard, comme s’il gravait mon image pour plus tard, dans d’autres rues, avec d’autres gens. J’agitais alors la main en l’air, comme une gamine. On aurait dit que je donnais de petits coups de griffe dans le vide, pareil à un chat qui gratte l’air. Hannibal me répondit en secouant la main. Et sa bouche crachait de la buée alors qu’il murmurait mon nom. Il n’avait pas plus envie de partir que moi. Mais il y eût d’autres pas tandis qu’il quittait la sphère réduite de notre banc, qu’il s’avançait dans l’allée... du moins à reculons ! En fait, il n’était pas question pour lui de me tourner le dos. Nos yeux s’accrochaient toujours -et mon regard commençait à pétiller alors que je comprenais. Il n’allait pas rompre le lien. Il allait m’emporter avec lui aussi longtemps, aussi loin que possible. Mon cœur sauta dans ma poitrine alors qu’il était à présent à une dizaine de mètres.

Au-dessus de nous, les flocons tombaient toujours en rafale. Ils tourbillonnaient comme des perles avant de grossir en silence les nappes blêmes du parc. C’était un spectacle magique. Et la neige se prenait dans les cheveux de mon frère, comme du diamant. Son manteau était également recouvert de talc tandis que son écharpe claquait au vent, secouée par la bise. Pourtant, il n’avait pas froid -il s’était trop longtemps réchauffé à mon corps, à ma flamme. Je posais alors une main sur mes lèvres. Et je lui envoyais un baiser, aussi remuée qu’amusée. Nous avions toujours idées folles pour ne pas quitter l’autre -ou pour moins le quitter. Et à présent, je regardais mon frère qui marchait à l’envers parmi les rares promeneurs. Il ne voyait rien au spectacle qui se passait derrière lui tandis qu’il glissait à l’aveuglette, fidèle à mon sourire, à mes yeux pétillants. A un moment, je crus que sa botte dérapait sur du givre. Puisqu’il ne pouvait rien prévoir, il risquait l’accident. Mais il se rattrapa très vite, se stabilisant en écartant les bras, comme un patineur qui frôle la chute. Je pouffais alors de rire comme une petite fille.

Il était maintenant au milieu de l’allée. Autour de lui, les gens s’agitaient, tournaient la tête pour le toiser. Ils trouvaient son comportement bizarre. Pourquoi marcher à l’envers ? Par ce temps ?!Certains lui jetaient des regards noirs alors qu’il les embarrassait. Il ne faisait pas attention où il allait et il risquait de cogner quelqu’un à tout moment. D’ailleurs, à une ou deux reprises, des promeneurs s’écartèrent pour éviter la collision. Un homme retint même un chapelet de gros mots tandis qu’il dardait un regard en coin à mon frère. Mais parce qu’Hannibal était beaucoup plus grand, beaucoup plus fort et impressionnant, il se contenta de ravaler ses injures. Et il accéléra le pas à ses risques et ses périls, jusqu’à disparaître dans une autre allée, près des pelouses blanchies. En même temps, Hannibal ne prêtait attention à rien. Et il faisait abstraction des badauds. Ce n’était que des silhouettes qui nageaient près de lui, des ombres en eaux troubles. Seul mon corps, assis sur le banc, se détachait du décor, couleurs sur noir et blanc. Et il ne regardait que ma petite main qui s’agitait toujours, de plus en plus faiblement. Il n’entendait que ma petite voix qui lui disait au revoir.

Dans le lointain, il agita les bras au-dessus de sa tête, m’adressant de grands signes qui me tirèrent un éclat de rire. On aurait dit un aiguilleur ! Et, pour ne pas le perdre de vue, je me dressais sur les genoux. En fait, j’étais toujours campée sur le banc. Mais je plantais mes jambes dans le bois, comme un petit héron, alors que je me tordais le cou pour ne pas perdre une miette de son départ. On aurait dit un périscope. Et je décrochais à moitié ma tête alors qu’il apparaissait et disparaissait entre les formes emmitouflées. Surtout, je continuais à pouffer, amusée. Il reculait toujours dans la neige, il tournait toujours le dos aux autres -comme s’il nageait à contre-courant. Et ma main s’agitait frénétiquement pour l’accompagner. Je sentais encore ses yeux qui me détaillaient, qui m’enregistraient. De mon côté, je ne cessais pas de sourire. J’avais vissé mes lèvres à mes pommettes pour qu’il emporte cette belle image, même si j’étais dépitée. Sous le vent, mes cheveux s’envolèrent tandis que mon bonnet glissait. Et on entendit le froissement de mes paquets qui gémissaient à côté, dans du papier kraft. A présent, je ne voyais plus qu’un bout de mon frère. A sa manière, il avait enfin -et trop vite- atteint le bout de l’allée. Et son visage se détachait du gris morne de la ville, comme un halo pâle, magnifique. Je gravais aussi cette image. Son sourire. Sa main. Et...

Il avait disparu.

Je clignais des yeux, déçue. Et je restais encore quelques secondes à scruter la foule. Alors, lentement, je me rassis sans déplier mes jambes. Au contraire, je collais mes fesses sur mes talons, dans une position d’enfant, perdue au milieu des achats. Il était parti... mais en retard, à reculons. Et toujours avec moi.

Miranda.

18 décembre 2010

Le Grand Amour

AGG1

J’ai vraiment l’impression de vivre un amour d’exception. Cela peut sembler prétentieux... mais j’en suis certaine ! Cet amour-là n’est pas humain. Il n’a pas d’équivalent. Personne ne peut s’y comparer. Bien-sûr, tous les amoureux disent la même chose. Ils sont tous persuadés de vivre une histoire unique et extraordinaire. Mais pour nous, c’est vrai. Cela s’est vérifié mille fois, dans la vie, dans la mort. Notre amour est le plus grand de tous. Rien n’a pu ni ne pourra l’empêcher. Rien ne pourra le salir. Rien ne viendra le détruire. Ni les hommes, ni le temps. Parce que c’est le plus fort, le plus beau, le plus fou des amours.

Mimi.

18 décembre 2010

Les Retrouvailles

Mon cœur battait à tout rompre. J’avais l’impression qu’il allait lâcher. Encore un battement, et je tombais. Avant lui. Pourtant, je hasardais un pas après l’autre. On aurait dit une somnambule qui marchait dans la nuit. Je n’avais plus conscience de mes gestes, de moi, du monde. Il n’y avait plus que lui -à quelques pas. Enfin, le monde retrouvait ses dimensions : à sa mesure. Et je hantais les étoiles alors que ma silhouette frêle se détachait sur un ciel de velours. Je me fondais parmi ces lucioles tandis que je gravissais l’échelle qui menait au toit. D’ailleurs, je ne m’inquiétais même pas de la hauteur ou du vertige alors que je poursuivais mon chemin. J’allais le rejoindre. J’allais le retrouver. Et j’occultais tout ce qui n’était pas lui. Mon évidence. Autour de moi, il n’y avait plus de paysage, plus d’amis. J’avais rayé les hommes merveilleux qui m’avaient conduites jusqu’ici. J’avais effacé la camionnette, garée devant la grande hacienda, à l’ombre de la roseraie. J’avais même détruit les murs, écrasé le temps, oublié la nuit. Seul son corps, entraperçu devant la lune, habitait mon monde. Parce qu’il était tout, depuis si longtemps.

Je tendis une main en l’air, avant de nouer mes doigts sur un dernier échelon. Cette scène n’aurait jamais dû se produire, sinon quarante ans plus tard. Nous aurions alors été bien vieux, deux amants âgés et sans passé commun -sinon quelques mois de magie. Qu’aurait pu nous dire ? Rien de plus ou de moins qu’aujourd’hui. Car rien ne pouvait altérer un amour tel que le nôtre, d’une autre essence. D’une autre espèce. Cette passion n’était pas de ce monde. Elle n’était pas à la taille des hommes, elle excédait les corps et les âmes, elle débordait vers l’éternité. En fait, elle avait introduit en nous un petit bout d’infini. Et tout se résumait à lui, à sa peau, à ses yeux, à sa voix. Comment l’espace pouvait-il se condenser en un seul être ? Il était ma vie et ma mort, ma réponse à tout. Mes mâchoires claquèrent violemment l’une contre l’autre alors que j’approchais. Et enfin, mon pied se posa sur le haut de l’échelle. Je n’arrivais plus à respirer. Ma cage thoracique était bloquée, étouffée dans un carcan de peurs et d’euphorie.

J’en perdais la tête. Et bientôt, j’apparus sur le toit, vêtue de mon jean défraîchi, de mon gros pull et de mes bottes fourrées. Je détonais dans la tiédeur de la nuit, sensuelle et douce. En fait, j’arrivais d’un autre pays, presque d’un autre monde. Et je devinais déjà qu’une galaxie me séparait de mon mari. Il avait passé de longs en mois prison, torturé, enfermé, alors que j’avais goûté chaque jour à ma liberté -grâce à lui. Pourtant, je savais que rien n’allait changer. Tout serait exactement comme avant, au moins entre nous. En même temps, je n’étais pas naïve. Je savais qu’une telle expérience transformait un homme. Mais même si Hannibal avait changé, mon amant, mon amour était toujours intact. Et je m’arrêtais une seconde à l’autre bout du toit. Je me trouvais au bord de la maison, près de la gouttière. A présent, mon frère me tournait le dos alors qu’il observait la lune en silence. On aurait dit qu’il méditait sur le disque d’argent. Il semblait très loin. En fait, il était avec moi. Je n’avais besoin de rien pour le savoir.

Rien ne pouvait nous séparer. Les hommes pouvaient dresser tous les murs entre nous, rien ne briserait notre lien. Nous serions toujours ensemble, même un dans la tombe, même un dans la vie. Et cette certitude mouilla mes yeux, même si je me forçais à ravaler mes larmes. Nous avions survécu à l’enfer. Et en cet instant, alors qu’il était tout proche, je ne savais même plus comment j’avais fait. Comment avais-je respiré un air qu’il n’absorbait pas ? Comment avais-je trouvé un sommeil qu’il ne partageait pas ? Comment étais-je restée debout sans lui ? L’espoir de ce moment m’avait maintenue en vie, comme une béquille. Je n’avais jamais cessé d’y croire. Cet amour-là ne pouvait pas mourir. Cet amour-là vivrait toujours, même après nous. Il excédait ce monde. Et, gorgée nouée, j’osais un pas sur les tuiles bleuâtres. Aussitôt, les oreilles d’Hannibal se dressèrent. Il avait l’air encore plus nerveux, qu’encore plus vif qu’autrefois. Rien ne lui échappait. Et aussitôt, il fit volte-face, se retournant vers moi.

Alors...

Le temps s’arrêta. Le monde s’arrêta de tourner pour nous. Tout se résumait là, ici, à nous. Toute l’histoire des hommes en deux êtres. Tous les amours en nous. Je portais une main à mon visage tandis que mes larmes coulaient. Je ne pouvais plus l’empêcher. Et l’eau salée sillonnait mes joues en rigoles alors que mes doigts comprimaient ma bouche. Il était tellement beau. Et il se dressait à plusieurs mètres, au bord du vide, yeux écarquillés par la stupeur. Apparemment, personne ne l’avait prévenu de mon arrivée -peut-être pour lui éviter de nourrir de faux espoirs. Ses pupilles semblaient aussi énormes que celles d’un drogué. Et à son tour, il ouvrit la bouche sur un grand silence, incapable de prononcer un mot. La langue n’était pas à la hauteur. Rien n’aurait pu traduire l’énormité qui nous écrasait. C’était comme un poids d’amour qui nous frappait, qui nous creusait l’estomac et nous soulevait le cœur. Et pendant une seconde, le visage de mon frère parut transfiguré. J’étais là. J’étais devant lui. L’idole qu’il avait priée, aimée à distance. J’étais le fruits de toutes les prières, la raison à tous les supplices. J’étais son bout du monde. J’étais son au-delà, sa mort après la vie.

Comment y croire ? J’avançais encore d’un pas. Je tremblais comme une feuille. Je n’arrivais plus à maîtriser les frissons compulsifs qui me secouaient comme un pantin. On aurait dit que j’allais me briser. Et je me raccrochais à ses yeux. Eux n’avaient pas changé -contrairement au reste de son corps. Ils étaient toujours cousus dans le même ciel bleu, comme un carré d’azur. Et ils me regardaient toujours avec le même amour, la même douleur. Alors, je me jetais vers lui. Mes pas retentirent, cognant bruyamment les tuiles. J’avais des ailes pour lui. Et je volais à sa rencontre tandis qu’il ouvrait les bras, prêt à me recevoir. Plus que trois secondes. Sa poitrine maigre était pour moi, mon abri. Deux secondes. L’impact était imminent. Une seconde. Mon rêve... mon rêve... Et brutalement, nos deux corps s’accolèrent. Alors, tout se jeta en lui. Tous les fleuves du monde aboutirent à nous, toutes les musiques, comme dans un océan. Et nos bouches se trouvèrent à l’aveuglette. Nous n’étions plus qu’un. Et je n’arrivais même plus à discerner mes bras des siens, mes jambes des siennes. C’était tout.

Son baiser me cloua sur place. Nous flottions en apesanteur au sommet du toit, à tire-d’ailes. En contrebas, les hommes qui m’avaient emmenée ne pouvaient pas détourner la tête. Ils nous avaient vus nous jeter l’un vers l’autre, avec la force du désespoir. Et personne ne restait insensible à ce spectacle. C’était toutes les amours perdues qui revivaient en nous. Et Joachim déglutit avec peine alors que notre couple le fascinait. Tout le monde voulait goûter à ça pour soi. C’était le but de toutes les vies. Nous étions tous les rêves. Et sur le toit, je m’effondrais contre mon frère, épuisée, à bon port. J’avais regagné ma seule et unique place alors que ses bras m’entouraient. Ils formaient comme une ceinture autour de moi. En fait, ils n’étaient plus prêt à me lâcher. Jamais. Et je noyais notre baiser de larmes, cassée en deux. Je retrouvais son corps adoré, et les milliers de nuits d’amour, et les centaines de nuits solitaires. Tout se mélangeait dans mes gros sanglots tandis que je reniflais et l’embrassais en même temps. Son goût me remplissait la bouche. Sa langue était en velours, comme ses mains, toujours si douces et fortes.

L’amour absolu. En nous regardant, il n’y avait plus aucun doute possible. Même les incrédules y auraient cru de toute leur foi. Nous aurions même les athées à genoux. Ça existait. Ça vivait en nous. C’était l’amour qu’on écrivait, qu’on chantait, qu’on filmait depuis des siècles et des années. C’était l’amour qu’on rêvait pour soi dans un coin de lit, à l’adolescence. C’était l’amour dont on faisait la deuil, un soir, sur sa tombe. C’était l’amour qu’on cherchait toute sa vie, dans toutes les rues, dans tous les êtres. Et c’était notre amour. Je rendis son baiser à mon frère, avec la même passion. Nous aurions pu récréer un monde à nous deux. Nous étions le monde de l’autre. Mes mains passèrent de ses cheveux alors que je tenais sa tête entre mes doigts. J’avais enfoncé mes paumes dans ses longues mèches blondes, qui caressaient à présents ses épaules. Sa chevelure avait grandi d’une bonne dizaine de centimètres. Et son visage, son menton et ses joues, disparaissaient à moitié sous une barbe très épaisse, broussailleuse. Il portait sur lui les stigmates de la prison. Mais moi, j’effaçais tout avec ma bouche, mes caresses, mes soupirs. Je le lavais de l’horreur. J’avais ce pouvoir.

-Je t’aime, je t’aime, je t’aime...

-Dis-le moi encore.

-Je t’aime à en crever. Je t’aime depuis toujours, pour toujours, pour jamais, pour maintenant. Je t’aime à être folle.

-Dis-le, dis-le encore.

-Je t’aime, Hannibal. Je t’aime.

Il avait toujours refusé ces mots, il les avait longtemps chassés d’une main comme des mouches. Il avait même plaqué ses mains sur ses oreilles pour ne rien entendre, pour ne pas savoir. Longtemps, il ne s’en était pas cru digne. Mais à présent, je déversais tout mon amour comme un baume, je réparais le trou béant des geôles, je bouchais à sa vue toutes les horreurs vécues. Je devenais sa muraille, aussi forte, aussi infranchissable. Et je le forçais à me regarder dans les yeux, en tenant sa tête entre mes paumes moites. Nos yeux s’accrochaient, se cherchaient. Bleu sur bleu. Ciel sur mer. Alors, à son tour, il se mit à pleurer. Cet homme que je n’avais jamais faible ou fragile, sanglota dans mes bras. De l’eau amère s’écoula en silence, barrant ses joues creusées, si maigres qu’on pouvait presque compter ses dents. Mais je tenais toujours son visage et je me penchais sur lui comme une mère. Je bus alors ses larmes, pour qu’il n’en verse plus jamais. Elles avaient un goût terrible, noir, lourd. Mais elles roulèrent sous ma langue alors que je l’empêchais d’être triste. Pas tout de suite. Et même jamais. Pas tant que je vivrais.

Je n’avais aucune idée de ce qu’il avait vécu en prison. Mais j’en voyais à présent les traces en face de moi. Son corps ne mentait pas, dérisoire sous la fine chemise de cotonnade, beaucoup trop grande pour lui, qu’il portait. C’était terrible. Tous ses os saillaient. On aurait dit un tas d’ossements. On voyait même ses omoplates, comme de longues lignes dures, qui pointaient sous le tissu. Sa poitrine était aussi creuse qu’une caisse de résonance. Et ses jambes, pareilles à des bâtons de bois, disparaissaient son un jean flou. Il n’avait pas du manger pendant des semaines. De même, ses lèvres étaient craquelées par le manque d’eau. Il n’avait sans doute pas bu très souvent -juste assez pour rester en vie et souffrir encore. Et dans notre baiser, pour mégarde, j’avais arraché des croûtes sanglantes. En plus, son visage était également marqué par l’enfer. Des cernes noires alourdissaient son regard. En fait, on aurait dit que ses yeux étaient très enfoncés dans leurs orbites, que son nez était plus grand que d’habitude. Et entre mes doigts, des cheveux restaient par poignée. Il n’était plus qu’une loque.

-Tu es là... tu es là... ma petite belle chérie... ma petite sœur adorée...

-On ne sera plus jamais séparés.

-Jure-le. Jure-le, mon petit ange.

-Je resterais toujours avec toi. Même si je dois nous tuer pour ça.

Nos corps dansaient au bord du vide. Nous n’avions plus conscience du gouffre qui s’ouvrait à nos pieds. Et, entrelacés, nous tournions sur nous-mêmes. En fait, nous ressemblions à deux naufragés. Nous avions tapé au fond de l’eau pour remonter à la surface, arrimés l’un à l’autre. Et nous nous agrippions à notre radeau, pour mourir ou vivre ensemble. Qu’importait. C’était la même chose. Mais à deux. Et nos silhouettes se balançaient vers la chute. On aurait dit que nous flirtions avec le danger, que nous voulions tomber. D’ailleurs, en contrebas, Joachim et son chauffeur retinrent leur souffle. Mais nous étions entre deux mondes, encore incapables de faire la différence. Nos peaux semblaient attirées par le risque, par la mort qui attendait plus bas. Et nos corps jouaient avec la peur alors que nos cœurs battaient à casser. En même temps, nos lèvres décrivaient un ballet. On s’embrassait, on s’éloignait, on se touchait du nez, de la bouche, on s’esquivait. Nous étions emmêlés. Quatre bras, quatre jambes, deux têtes... et une âme. Deux corps et une âme. Pour toujours. Quoiqu’ils feraient tous, quoiqu’ils diraient demain, quoiqu’ils décideraient à notre place... plus rien n’était possible. Nous nous jetterions dans le vide s’ils ne nous laissaient pas nous aimer.

Mais à cet instant, quelque chose de froid coula sur moi. Et je poussais un petit cri de surprise, incrédule. Qu’est-ce que... ? Je me figeais dans ses bras alors que mon frère ne comprenait pas. En fait, son sang était en train d’imbiber sa chemise, de se répandre sur mon pull. Il saignait. C’était son sang de reptile, toujours aussi glacé. D’une main tremblante, j’écartais alors les pans de tissu. Et avec un cri de douleur, je découvrais alors les innombrables cicatrices qui balafraient son corps. Pourtant, je me rappelais encore de toutes les blessures qu’il avait reçues durant notre cavale et qui s’étaient effacées très vite, grâce à son peau étrange -sa peau de Waagal. Ma bouche s’arrondit. Pour garder toutes ces marques, il avait dû endurer un martyr. Ses gardiens n’avaient jamais dû laisser aucune plaie se fermer, s’acharner encore et encore pour le couturer. Mes lèvres tremblotèrent.

-Je t’ai blessé !

-Pas toi ! Jamais toi !

Et pourtant... c’était moi qui avait rouvert ces entailles. C’était sous mon impact que les balafres rouges s’étaient écartées jusqu’à vomir rouge, inonder sa chemise. J’avais encore agrandi ses stigmates. Je secouais alors la tête, choquée, assommée par ce bout de vérité qui explosait à mon visage. Et mes larmes coulèrent dans son sang tandis que je me penchais déjà vers les entailles. Elles étaient très longues, très larges, vraiment atroces. Et à mon tour, comme il l’avait si souvent fait avec moi, je léchais le fluide vermeil. J’y trempais d’abord la pointe de ma langue, remontant le long de l’arcade. Puis je bus à la source, comme un vampire. Je prenais tout pour moi. Je ne laissais rien couler à côté. En fait, je ne voulais plus qu’on verse le moindre bout de lui. Je gardais tout, je sauvais tout. Et mon frère pencha la tête en arrière alors qu’il enfonçait une main dans mes cheveux. J’essayais de réparer tout le mal qu’on lui avait fait. Et Hannibal ne se dérobait pas. Comme au début de notre étreinte, il ne disait rien -parce qu’il était prêt à agrandir ses plaies si cela lui permettait de me tenir dans ses bras. Il serait mort en sang si c’était contre moi.

Je léchais consciencieusement ses entailles énormes. Je n’étais plus prête à rien perdre. J’avais posé mes deux paumes à plat sur sa poitrine, presque au niveau de ses épaules. Et je n’avais pas peur de ce corps si fragile, encore plus maigre que le mien. Pourtant, j’avais perdu beaucoup de poids au cours des derniers mois, jusqu’à ressembler à une vulgaire brindille. On aurait dit un fétu de paille. Mais ce n’était rien en comparaison de mon frère. D’ailleurs, je ne savais même pas comment il tenait encore debout -sinon pour moi. Tout en buvant son sang, je relevais alors la tête pour le regarder, éperdue. Et ses yeux me répondirent, très doux, très malades. Je suçais tout le flux sans le quitter des yeux. Et, après avoir mélangé nos salives, il me vint une idée. Je m’écartais doucement, à peine -de toute manière, il ne l’aurait pas permis. Il ne pouvait plus supporter qu’on casse le lien. Aussi, je me contentais de baisser les bras le long de mon corps. Et je les entaillais alors sur toute la longueur, à l’aide de ma ceinture. En effet, je parvins à ouvrir ma chair grâce à la boucle. Et à son tour, mon sang coula.

Je relevais mes bras abimés devant mon frère. Ses yeux se dilatèrent, bouleversés. C’était ma souffrance qu’il ne pouvait pas supporter -la sienne ne l’affectait pas. Il n’existait pas, pas tant que je vivrais. Je le rassurais alors d’un sourire tandis que deux grandes lignes rouges, comme des éraflures, apparaissaient de plus en plus distinctes. Elles s’étiraient de mes poignées à mes coudes. Et en quelques secondes, un sang chaud me barbouilla. Hannibal secoua la tête, déjà prêt à me soigner. D’un regard, il chercha de l’aider autour de lui. Mais je le retins. Et lentement, j’accolais mes deux bras sur sa poitrine. Je les apposais avec douceur. Et je laissais nos deux sangs s’écouler en même temps. On se mélangeait. Alors, Hannibal comprit enfin. Nous ne pouvions régler ça autrement. Il fallait qu’on se mêle, qu’on passe un pacte de sang. Aussi éternel que nous. Alors, un petit sourire -son premier sourire- étira ses lèvres. Et avec une délicatesse infinie, il s’empara de mes poignées. Nos yeux ne se quittaient plus. On refusait de se lâcher alors que nos bassins étaient toujours soudées. Nous n’étions plus qu’un bloc unique. Et ses doigts serraient comme un garrot mes bras. Il les porta à sa bouche. Et à son tour, il se mit à boire mon essence.

Je sentis ses lèvres, et même le bout de ses dents, contre moi. En fait, on aurait dit qu’il m’aspirait. Et peu à peu, ses yeux se fermèrent. On ne voyait plus qu’un mince filet bleu entre ses paupières mi-closes, derrière ses cils blonds. Il se nourrissait de moi. Et il buvait à l’origine, à sa source. Il retrouvait sa force vitale alors qu’il m’absorbait. Je me laissais faire, consentante. Et bientôt, il se détacha par la force de moi -peut-être pour me laisser un peu d’énergie. Nos sourires se répondirent. Et nos dents étaient couvertes de sang. Alors, ce fut irrésistible. Nous nous jetâmes l’un sur l’autre, mus par une pression irrépressible, plus forte que nous, plus forte que la survie. La nuit veillait sur nous. Et elle nous cacha dans ses replis alors que nous tombions à genoux, face à face. En fait, nous étions perdus dans une flaque de notre sang. Nos pantalons s’imbibèrent, maculés de traînées écarlates. Nos respirations devinrent saccadées, très heurtées. Mais on se raccrochait à l’autre. Et de nos mains, nous barbouillons l’autre, étalant sur ses pommettes, sur son nez, de la peinture rouge. Mon frère redessina même le contour de mes lèvres avec son sang.

On se marquait à jamais.

On passait un pacte éternel.

Plus jamais nous ne serions séparés.

Ici ou ailleurs.

Miranda.

17 décembre 2010

Le Reste du monde

M576     M577     M578

J’ai retrouvé mon frère au bout du monde. En fait, notre histoire nous a emmenée partout. Tout a commencé en Australie... puis il y a eu les États-Unis, le Mexique, le Brésil et l’Argentine, Sainte-Hélène, le Canada... nous nous sommes aimés dans tous les pays. Mais toujours dans notre langue. En fait, rien n’a jamais compté que nous. Le pays, le temps n’existaient pas. Ce n’était qu’un décor.

M581     M580    

Pour l'autre, nous avons toujours été le reste du monde.

Miranda.

17 décembre 2010

Le Kidnapping

Une bouffée d’air frais me chatouilla les narines. Aussitôt, mes sinus s’emplirent d’un parfum coupant, agréable -comme un coup de fouet. Et, revigorée, je me redressais de toute ma taille. J’étais sortie voûtée, harassée par des heures d’interrogatoire... mais brusquement, je rejetais les épaules en arrière, j’alignais ma colonne. Et je savourais le vent qui soufflait sur moi, qui pénétrait mon corps comme une vague d’énergie. A nouveau, mon sang circulait dans mes veines. Je le sentais courir comme un fluide qui inondait toutes mes artères. Et mon cœur battait plus vite tandis que j’ouvrais la bouche, avide. En fait, j’avalais une nouvelle goulée. Et dans le lointain, j’entendis le chant d’un oiseau -une mouette qui s’était égarée à l’intérieur de la ville. Elle se trouvait à l’opposée du port, devant le commissariat de police. Mais son vol, son corps blanc et gracile, m’arracha un sourire. Et longtemps, devant le perron, je regardais ses ailes battre et s’enfuir. Je ne l’enviais pas. En fait, je me sentais comme elle -aussi haute, aussi libre. Et quand elle fut devenue un simple point à l’horizon, je repris ma marche.

J’allais enfin rentrer à la maison. Après deux jours dans l’air vicié d’une cellule, je goûtais ma délivrance avec avidité, comme une recluse. En réalité, j’avais l’impression d’avoir perdu une longue semaine entre ces quatre murs gris, en compagnie des policiers qui m’interrogeaient sans cesse. Pendant deux jours, j’avais survécu au feu des questions, qui pleuvaient sur moi comme de la grêle. Cela ne s’arrêtait jamais. Mais je n’avais rien lâché, même si les questions revenaient comme une ritournelle. C’était obsessionnel. Où était-il ? Comment étais-je parvenue à le libérer ? Quelles étaient mes complicités dans la prison ? Je m’étais contentée d’en rire, car je n’avais rien d’une terroriste -au moins en apparence. Car en vérité, j’avais œuvré dans l’ombre, et de toutes mes forces, pour qu’Hannibal s’échappe. Mais, ironie du sort, je n’avais joué aucun rôle dans son évasion. Toutes les opérations que j’avais commanditées avaient échoué. Et finalement, mon frère était sorti sans moi -ou plutôt, je l’avais aidé d’une manière inattendue, dans un rêve. D’ailleurs, je n’arrivais toujours pas à démêler le vrai du faux. Mais je me contentais d’y croire. Aveuglément. Absolument.

Je réglais la bride de mon sac sur mon épaule. Mes pas résonnaient dans la rue comme un petit martèlement alors que je passais devant les façades des immeubles vieillis, un peu défraîchis. Il y avait aussi quelques façades de boutiques... mais elles étaient toutes closes derrière des rideaux de fer rouillé. C’était un quartier morne. Et les magasins étaient morts les uns après les autres au point d’isoler le commissariat. Je pressais la cadence, impatiente. Et je continuais à respirer lentement, régulièrement. Ma bouche était ouverte alors que je crachais une petite buée blanche. Il fallait dire que l’hiver était bien installé. Et nous étions à la veille de Noël alors que j’endurais des températures hostiles dans mon manteau gris et ma grosse écharpe noire. Je remplissais mes poumons à ras-bord de glace. Et pourtant, jamais le ciel ne m’était apparu aussi bleu, ni l’air aussi doux, ni les couleurs aussi belles. On avait retiré le filtre qui obstruait ma vue. D’aveugle, je voyais à nouveau. De sourde, j’écoutais la musique. De morte, je reprenais vie. Parce qu’il était là, quelque part, libre.

Cela ressemblait au printemps avec des mois d’avance. Mon cœur battait la chamade alors que je me réveillais d’un cauchemar interminable. Et même ma démarche était plus légère, presque dansante. Mon corps n’obéissait plus aux lois de la gravité. Gonflée d’hélium, comme mes ballons, je peinais à rester sur terre. Pourtant, je ne me leurrais pas. J’avais bien conscience que nous ne pourrions pas nous revoir avant longtemps -peut-être des mois, voire des années. Sa sécurité en dépendait. Et je ne voulais pas compromettre sa nouvelle vie. Après tout, c’était déjà à cause de moi et mon père qu’il s’était retrouvé en prison. C’était pour moi -et non pour James- qu’il était resté sur le toit de l’immeuble. Il avait sacrifié sa liberté pour que mon père vive -et pour que je ne meure pas de l’avoir tué. Aussi, il n’était pas question de reproduire mon erreur. Je n’avais pas menti aux policiers. Cette fois-ci, je n’allais pas les mener jusqu’à lui. Et j’étais prête à faire le deuil de sa présence contre son bonheur. Nous serions toujours ensemble, à notre manière. Et si c’était un crève-cœur, je ne m’étais pourtant jamais sentie aussi apaisée.

C’était le bon choix. Sérénité et résignation cohabitaient à présent en moi, sans guerre, sans cri. Je me plaisais même à imaginer mon frère à l’autre bout du monde, n’importe où mais pas là. Plus jamais la police ne remettrait la main sur lui. Il ne serait plus torturé. Je le savais en sécurité, peut-être un peu guéri de ses blessures... Dans la rue, je serrais les pans de mon manteau autour de moi. Le vent me fouettait le visage, rosissant mes joues comme un fard. La tête me tournait encore. Je portais alors une main à la petite cicatrice qui barrait mon front. Elle était cachée à la racine de mes cheveux, invisible. Pourtant, j’avais perdu beaucoup de sang durant ma chute, devant le seuil de mon immeuble. Puis mes yeux se reportèrent sur la circulation. En fait, je ne savais pas trop où je me trouvais dans New-York. Malgré les mois, c’était ville n’était toujours pas mienne. Je n’avais pas voulu l’apprivoiser alors que mon cœur était ailleurs. Pour moi, cette cité était sa prison. J’y étouffais comme lui. Et je me sentais toujours perdue dans ses avenues, loin de mon désert et de sa liberté.

Je traversais un passage clouté. Il n’y avait aucune voiture autour de moi. Le quartier était désert alors que le jour se levait. On m’avait gardée durant quarante-huit heures -jusqu’à ce qu’un avocat, diligenté par Natascha, vienne me délivrer. Apparemment, les policiers avaient déjà outrepassé leurs droits avec moi. Pendant une garde à vue, nul n’avait normalement le droit d’empêcher un défenseur de parler avec son client -tant et si bien que toute l’enquête sur mon compte avait dû être abandonnée pour vice de procédure. J’avais jubilé ! Mais je ne m’étais pas trop attardée alors que je laissais l’homme de loi sévir. D’ailleurs, il remuait probablement encore ciel et terre dans le commissariat, alors que je me perdais dans une venelle. A cet instant, je remarquais alors le manège d’une camionnette noire. On aurait dit un véhicule de livraison, même s’il n’avait aucune inscription. En fait, il tournait en rond autour d’un pâté de maison. Je haussais les épaules. Il était peut-être aussi perdu que moi, qui cherchais un arrêt de bus ? Mais bien vite, je songeais à autre chose. Je pensais à ma fille, à ma marraine... elles étaient sans doute folles d’inquiétude à l’appartement. Et elles m’attendaient sûrement au salon, avec leur thé et leurs petits gâteaux.

Je leur avais passé un coup de fil dans le hall du commissariat. J’allais très bien, je rentrais vite. En fait, je rêvais de prendre une bonne douche alors que je n’avais pas vu une goutte d’eau en deux jours. On ne m’avait pas laissée dormir, ni me laver. Et la fatigue commençait à se faire sentir -elle engourdissait mes jambes et ma tête. Aussi, je ne pensais qu’à dormir dans mon grand lit. Ensuite seulement, je raconterais mes déboires à ma marraine. Je savais qu’elle attendrait en silence, comme une fidèle amie. Elle avait été la seule lumière de mon cauchemar. J’avais eu une chance folle de la rencontrer au plus profond de ma nuit. Elle avait gardé ma tête hors de l’eau. Elle m’avait remplacée auprès de ma fille. Je lui devais beaucoup. De même, je n’oubliais pas ma dette envers Ian et Joachim -qui s’étaient tous deux volatilisés dans la nature. Fidèles à leur promesse, ils étaient partis aider mon frère. Et ils avaient toute ma confiance, au point que je ne tremblais plus pour mon loup blanc. Si en deux jours, personne ne l’avait retrouvé... c’est qu’il était à l’abri. Sain et sauf. Avec eux.

Je remontais le long du trottoir, je dépassais des résidences de cinq ou six étages. En fait, je me dirigeais vers les quartiers plus huppées, vers Manhattan. C’était sans doute très long à pied, mais je n’étais pas fâchée de marcher. Je dégourdissais mes pauvres jambes endolories. Des fourmis me titillaient à chaque pas. Et alors que je progressais, perdue dans mes pensées, on entendit un brusque coup de frein derrière moi. Je ne compris pas tout de suite ce qui se passait. En fait, j’étais trop occupée à remâcher les derniers évènements -surtout mon rêve. Et je ne vis pas la camionnette qui s’était approchée de moi, rasant la chaussée avant de s’arrêter d’un coup sec. Je perçus simplement le grondement de son moteur. C’était un bruit de bête furieuse, enragée. En fait, c’était moi qu’elle suivait, moi qu’elle attendait depuis le début... Dès qu’elle m’avait aperçue, elle avait filé dans mon sillage. Et en pleine rue, on entendit alors sa portière coulissante qui s’ouvrait à toute allure, comme une gueule béante. Elle était prête à m’avaler. Et de nulle part, deux bras puissants jaillirent pour m’étouffer.

Il n’y avait aucun passant autour de moi. Tout était mort dans ces rues abandonnées. Et à présent, le commissariat n’était plus à portée de vue -ni de voix. Aussi, personne n’entendit mon cri, bientôt étouffé entre des doigts gantés de cuir. Une main rentra alors à moitié dans ma bouche alors qu’on m’attirait en arrière. Des bras s’étaient abattus en travers de ma poitrine, comme des lassos. Et je n’arrivais pas à me débattre, à briser leur carcan. Je tentais pourtant de tourner la tête, de voir quelque chose -en vain. Je n’apercevais que la rue, des bouts de vitrine, mes pieds. Tout tournait autour de moi, tout se mélangeait. Mes cheveux cachèrent bientôt ma figure tandis que je freinais des quatre fers. Pourtant, bizarrement, je n’avais pas peur -en fait, je n’en avais pas le temps. Mon cerveau n’avait pas encore analysé le danger tandis que je cabrais comme une jument rétive. Mes pieds fouettèrent l’air, mes mains griffèrent. Mais je brassais toujours du vide alors que mon agresseur m’emportait en arrière. Et bientôt, je disparus dans le gouffre de la camionnette, impuissante.

Mes agresseurs restèrent invisibles. En une fraction de seconde, j’eus simplement le temps de discerner les mains du kidnappeur et la nuque du conducteur, à l’avant, derrière son volant. Puis plus rien. Mon ennemi avait jeté un sac blanc sur ma tête, comme une cagoule dans un tissu rêche. Je respirais avec peine en dessous alors que je luttais encore. Mais bientôt, on me balança contre le sol du véhicule. Je heurtais alors le plancher de tout mon long, sur un flanc. Et je retins en gémissement alors que je me tortillais au sol comme un ver. Je n’avais jamais été une victime docile, ni facile ! Et au-dessus de moi, mon adversaire poussa un âhanement alors qu’il m’empêchait de me relever. En même temps, à cause du choc, mes tempes battaient fort. Et le sac en toile m’avait fait perdre tous mes repères, me plongeant dans l’obscurité. Je ne pouvais me fier qu’aux odeurs -térébenthine, rouille, moquette, sueur et poussière. Je toussais péniblement. Mais déjà, la portière s’était refermée sur moi, m’emprisonnant dans la cage. Il était trop tard.

Les pneus crissèrent sur le bitume. Et la camionnette démarra en trombe, incrustant de grosses traces noires sur la route. Dans mon coin, j’entendis alors le moteur vrombir. Le conducteur faisait chauffer la mécanique. Et très vite, le véhicule dévora l’avenue, remontant à toute allure les artères pour se fondre dans la circulation. Toute la voiture tremblait, dans un gros bourdonnement, à cause de la vitesse. Et je sentais le sol qui frémissait sous mon corps. De mon côté, je peinais à respirer à cause de la jute qui me rentrait dans ma bouche, dans le nez. Cela ne m’arrêtait pourtant pas. Je gigotais toujours comme un diable, même si j’étais complètement sonnée. Qui étaient ces hommes ? Que me voulaient-ils ? Aussitôt, je pensais à la police, peut-être aux agents fédéraux. Ces personnes n’avaient ni foi ni loi. Et elles étaient bien capables de régler leurs comptes de cette manière. Peut-être m’avaient-elles enlevée pour forcer pour Hannibal à quitter sa cachette ? Si c’était le cas, ils allaient réussir. J’en aurais pleurer de rage. Ça ne pouvait pas se terminer comme ça. Pas à cause de moi.

Mais alors, quelque chose d’étrange se produisit. C’était tellement inattendu que j’étouffais un hoquet. Et je sursautais violemment, scotchée. En fait, les mains de mon ravisseur venaient de frôler ma peau... et elles étaient incroyablement douces. On ne sentait plus une once de violence ou de méchanceté. Au contraire, sa paume s’ouvrit sur mon crâne, l’enveloppant entièrement dans un geste bienveillant, presque paternel. Je déglutis avec peine, choquée. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Plus encore, mon kidnappeur décolla le torchon qui m’encombrait le nez et à la bouche, dégageant mes voies respiratoires. Puis d’une caresse, il apaisa ma peur. C’était bizarre... mais j’avais l’impression de connaître cette main. Elle m’était familière. Et même l’odeur du bras, du poignet, me rappelait quelqu’un. Cette fois-ci, je retins ma respiration, sur le qui-vive. Mais déjà, on m’aidait à me redresser. Il n’était pas question que je reste coucher au sol comme un vulgaire fagot. Deux bras me portèrent, m’aidant à m’asseoir à tailleur entre des objets froids, métalliques -peut-être une caisse à outils. Et des doigts m’époussetèrent avec précaution...

-Je suis vraiment désolé pour l’accueil, Miranda...

Cette voix ! J’étais complètement interloquée -et soudain, j’étais presque satisfaite qu’un sac cache ma tête alors ma bouche restait bêtement ouverte, comme un mouton. Je connaissais très bien mon ravisseur. Aussitôt, la tension retomba, quittant mes veines et mon corps électrisés. Pourtant, le conducteur continuait à rouler comme un fou, distanciant tous les véhicules, fuyant à travers les rues. A cette allure, il était peut-être déjà aux portes de la ville. Mais je ne m’en inquiétais plus. Alors, à nouveau, mon kidnappeur reprit la parole, rassurant, enrobant.

-Et je m’excuse aussi pour la taie d’oreiller. Mais par précaution, il fallait vraiment qu’on croie à un enlèvement.

Je hochais la tête. Et je devinais le sourire de Joachim à travers le tissu rêche qui m’aveuglait. Car c’était mon ami policier qui se tenait face à moi, également assis en tailleur sur le plancher sale de la camionnette. Ses deux mains étaient d’ailleurs posées sur mes épaules, comme un grand frère affectueux et attentif. Il me prenait sous son aile, je n’avais qu’à me laisser faire. Et je ne résistais plus alors que mon cœur battait follement. En fait, j’étais en train de comprendre ce qui m’arrivait. Toutes les pièces du puzzle se mettaient en place, même si je n’osais pas y croire.

-Je comprends, répondis-je d’une voix étouffée.

-C’est le seul moyen pour que vous ne soyez pas en danger, ni l’un ni l’autre. Personne ne pourra te suivre ni savoir où tu te rends. Et toi-même, tu ne pourras rien dire, puisque tu n’auras rien vu.

-Comment va-t-il ?

J’avais parlé d’une voix blanche. Et je ressemblais à un fantôme avec la taie pâle qui me cachait jusqu’à mes épaules. Il y avait tant d’émotions, tant d’amour dans ma gorge, que Joachim détourna très vite la tête. Je voyais sa silhouette se dessiner à contrejour -ou au moins ses contours. Il avait choisi un tissu fin pour que je respire sans peine. Mais curieusement, il tarda à répondre -peut-être parce qu’il cherchait les mots justes. Et derrière son volant, le conducteur se raidit également, apparemment gêné. Quelque chose n’allait pas.

-Il est bien vivant. Mais il n’est sûrement plus l’homme que tu as quitté.

-Je ne l’ai jamais quitté. On me l’a pris.

Le silence retomba sur le véhicule. Et aucun de nous, ni moi, ni Joachim, ni son mystérieux acolyte, n’osa plus le rompre. En fait, il n’y avait plus rien à dire. L’agent fédéral ne pouvait plus fournir aucun détail -ni sur mon frère, ni sur notre destination. Ce n’était pas à lui de m’apprendre la vérité. De toute manière, ce n’était pas une chose qu’on pouvait dire. Il fallait la voir de ses propres yeux, avec son cœur. Et je me préparais déjà au pire alors que nous roulions à toute allure, avalant les kilomètres, les immenses bandes de bitume qui se déroulaient à l’infini. Je me contentais seulement de tendre les mains pour serrer les doigts de mon ami. Je voulais le remercier. Grâce à lui, j’allais retrouver Hannibal. Lorsque nos paumes se touchèrent, je me jetais alors contre lui. Je me dressais sur mes genoux et me laissais tomber en avant, au hasard. Par chance, je m’abattis alors sur sa poitrine tandis qu’il me serrait doucement, me tapotant avec maladresse dans le dos. Il ne savait pas quoi faire de ce corps qu’il avait tant désiré -qu’il désirait peut-être encore.

-Merci.

-Je t’avais fait une promesse. J’ai jeté ton frère en prison. Je te le rends.

A partir de cet instant, je ne sais plus combien de temps dura le voyage. Rapidement, je perdis toute notion du temps. Je n’avais plus aucun indice pour me guider. Je pouvais seulement me fier aux bruits que je percevais à travers les vitres, les portières. En fait, je compris seulement que nous avions quitté la ville pour nous enfoncer vers le sud de l’Amérique. Et j’attendis en silence, pendant des heures -peut-être un ou deux jours. Il n’était pas possible de prendre le train ou l’avion alors qu’on allait sûrement partir à ma rechercher -ou non. Natascha avait été prévenue au dernier moment grâce à un petit mot, tant et si bien qu’elle n’alerterait pas la police pour signaler mon enlèvement. Quant à la police, qui devait me surveiller, elle avait été semée depuis longtemps. Même s’il n’était pas de mèche, mon avocat les avait retenus le temps qu’il fallait à l’intérieur du commissariat. Et nul n’avait eu le temps de me prendre en filature, ni même de remarquer ma disparition. Aussi, je filais vers mon frère comme une comète. Je retournais à la source. A mon origine.

Au bout d’un moment, Joachim déploya une grande couverture sur mes épaules. Il faisait très froid à l’intérieur. J’avais l’impression que nous partions vers le Centre des États-Unis, puis le Sud. Mon instinct ne m’avait trompée. Nous allions rejoindre la frontière du Mexique pour nous enfoncer en Amérique du Sud. Hannibal avait trouvé refuge dans les territoires latins. A deux reprises, nous changeâmes même de voitures, abandonnant la camionnette sur un grand parking de supermarché. Cachée sous ma couverture, je me laissais guider à tâtons. Joachim me tenait la main, m’emportant comme un petit fantôme à l’intérieur d’une nouvelle fourgonnette. C’était le moyen de transport idéal pour m’abriter. Puis, quelques heures plus tard, il m’aida à prendre place dans un dernier véhicule, aux couleurs d’une entreprise brésilienne. Je ne bronchais pas. J’exécutais tous les ordres. Je buvais même à la gourde qu’il me tendait sous la capuche, absorbant l’eau par petites gorgées. Par contre, je ne touchais pas au repas qu’il avait emmené. Je n’avais pas faim. Je n’avais plus de corps. Seulement mon cœur fou.

Aucun mot ne fut plus échangé. Joachim avait tenu parole. Et alors que la tension montait de mon côté, intenable, mon ami s’éloignait de moi. Il était pourtant heureux d’avoir réparé son erreur. A nouveau, il pourrait affronter son reflet dans la glace. Mais cette action aurait sans doute des répercussions terribles sur sa vie, sur sa carrière. Et surtout, il allait me perdre. Il avait occupé une place spéciale auprès de moi durant cette année. Mais déjà, Hannibal reprenait toute sa place. Et en coulant dans mes veines, mon frère chassait hors de mon corps chaque bout de lui. Aussi, il ne prévint pas lorsque la camionnette ralentit. Il savourait les dernières secondes. Et je ne sus que nous étions arrivés qu’au bruit de la portière qui coulisse. Je me figeais. Et bientôt, la capuche glissa, ébouriffant mes cheveux avant de me rendre la vue. Je clichais très vite des paupières. C’était dur, ça faisait mal. Et je restais tapie au fond de l’appareil, incertaine. Allait-on encore changer de voiture ? Joachim secoua la tête. C’était bien fini -pour lui. Et tout commençait, tout recommençait pour moi.

Doucement, le policier m’aida alors à quitter le fourgon. Ses bras me soulevèrent, m’aidant à tenir sur jambes de faon alors qu’un air chaud balayait mon visage. On aurait dit l’été. Et il fallut quelques secondes à mes yeux pour s’habituer à l’obscurité. C’était la nuit noire. Je ne savais même pas dans quel pays nous étions... mais il y avait au ciel des milliers d’étoiles. La voûte était très basse, comme une chape en velours. Il m’aurait suffi de lever la main pour... Pieds dans le sable, je me figeais soudain. J’avais relevé la tête, encore sonnée par le voyage. Et soudain... mon dieu... mon dieu tout puissant... ce ne pouvait être que lui... ce ne pouvait être que lui sur le toit de cette assienda... Je portais mes deux mains à ma bouche pour retenir un cri, un cri qui n’aurait jamais cessé si je l’avais poussé. Car il était là, devant moi. Et sa haute silhouette se détachait devant la lune, au ciel, comme un loup.

Miranda.

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 > >>
Publicité