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Le Journal de Miranda
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Le Journal de Miranda
17 décembre 2010

Le Kidnapping

Une bouffée d’air frais me chatouilla les narines. Aussitôt, mes sinus s’emplirent d’un parfum coupant, agréable -comme un coup de fouet. Et, revigorée, je me redressais de toute ma taille. J’étais sortie voûtée, harassée par des heures d’interrogatoire... mais brusquement, je rejetais les épaules en arrière, j’alignais ma colonne. Et je savourais le vent qui soufflait sur moi, qui pénétrait mon corps comme une vague d’énergie. A nouveau, mon sang circulait dans mes veines. Je le sentais courir comme un fluide qui inondait toutes mes artères. Et mon cœur battait plus vite tandis que j’ouvrais la bouche, avide. En fait, j’avalais une nouvelle goulée. Et dans le lointain, j’entendis le chant d’un oiseau -une mouette qui s’était égarée à l’intérieur de la ville. Elle se trouvait à l’opposée du port, devant le commissariat de police. Mais son vol, son corps blanc et gracile, m’arracha un sourire. Et longtemps, devant le perron, je regardais ses ailes battre et s’enfuir. Je ne l’enviais pas. En fait, je me sentais comme elle -aussi haute, aussi libre. Et quand elle fut devenue un simple point à l’horizon, je repris ma marche.

J’allais enfin rentrer à la maison. Après deux jours dans l’air vicié d’une cellule, je goûtais ma délivrance avec avidité, comme une recluse. En réalité, j’avais l’impression d’avoir perdu une longue semaine entre ces quatre murs gris, en compagnie des policiers qui m’interrogeaient sans cesse. Pendant deux jours, j’avais survécu au feu des questions, qui pleuvaient sur moi comme de la grêle. Cela ne s’arrêtait jamais. Mais je n’avais rien lâché, même si les questions revenaient comme une ritournelle. C’était obsessionnel. Où était-il ? Comment étais-je parvenue à le libérer ? Quelles étaient mes complicités dans la prison ? Je m’étais contentée d’en rire, car je n’avais rien d’une terroriste -au moins en apparence. Car en vérité, j’avais œuvré dans l’ombre, et de toutes mes forces, pour qu’Hannibal s’échappe. Mais, ironie du sort, je n’avais joué aucun rôle dans son évasion. Toutes les opérations que j’avais commanditées avaient échoué. Et finalement, mon frère était sorti sans moi -ou plutôt, je l’avais aidé d’une manière inattendue, dans un rêve. D’ailleurs, je n’arrivais toujours pas à démêler le vrai du faux. Mais je me contentais d’y croire. Aveuglément. Absolument.

Je réglais la bride de mon sac sur mon épaule. Mes pas résonnaient dans la rue comme un petit martèlement alors que je passais devant les façades des immeubles vieillis, un peu défraîchis. Il y avait aussi quelques façades de boutiques... mais elles étaient toutes closes derrière des rideaux de fer rouillé. C’était un quartier morne. Et les magasins étaient morts les uns après les autres au point d’isoler le commissariat. Je pressais la cadence, impatiente. Et je continuais à respirer lentement, régulièrement. Ma bouche était ouverte alors que je crachais une petite buée blanche. Il fallait dire que l’hiver était bien installé. Et nous étions à la veille de Noël alors que j’endurais des températures hostiles dans mon manteau gris et ma grosse écharpe noire. Je remplissais mes poumons à ras-bord de glace. Et pourtant, jamais le ciel ne m’était apparu aussi bleu, ni l’air aussi doux, ni les couleurs aussi belles. On avait retiré le filtre qui obstruait ma vue. D’aveugle, je voyais à nouveau. De sourde, j’écoutais la musique. De morte, je reprenais vie. Parce qu’il était là, quelque part, libre.

Cela ressemblait au printemps avec des mois d’avance. Mon cœur battait la chamade alors que je me réveillais d’un cauchemar interminable. Et même ma démarche était plus légère, presque dansante. Mon corps n’obéissait plus aux lois de la gravité. Gonflée d’hélium, comme mes ballons, je peinais à rester sur terre. Pourtant, je ne me leurrais pas. J’avais bien conscience que nous ne pourrions pas nous revoir avant longtemps -peut-être des mois, voire des années. Sa sécurité en dépendait. Et je ne voulais pas compromettre sa nouvelle vie. Après tout, c’était déjà à cause de moi et mon père qu’il s’était retrouvé en prison. C’était pour moi -et non pour James- qu’il était resté sur le toit de l’immeuble. Il avait sacrifié sa liberté pour que mon père vive -et pour que je ne meure pas de l’avoir tué. Aussi, il n’était pas question de reproduire mon erreur. Je n’avais pas menti aux policiers. Cette fois-ci, je n’allais pas les mener jusqu’à lui. Et j’étais prête à faire le deuil de sa présence contre son bonheur. Nous serions toujours ensemble, à notre manière. Et si c’était un crève-cœur, je ne m’étais pourtant jamais sentie aussi apaisée.

C’était le bon choix. Sérénité et résignation cohabitaient à présent en moi, sans guerre, sans cri. Je me plaisais même à imaginer mon frère à l’autre bout du monde, n’importe où mais pas là. Plus jamais la police ne remettrait la main sur lui. Il ne serait plus torturé. Je le savais en sécurité, peut-être un peu guéri de ses blessures... Dans la rue, je serrais les pans de mon manteau autour de moi. Le vent me fouettait le visage, rosissant mes joues comme un fard. La tête me tournait encore. Je portais alors une main à la petite cicatrice qui barrait mon front. Elle était cachée à la racine de mes cheveux, invisible. Pourtant, j’avais perdu beaucoup de sang durant ma chute, devant le seuil de mon immeuble. Puis mes yeux se reportèrent sur la circulation. En fait, je ne savais pas trop où je me trouvais dans New-York. Malgré les mois, c’était ville n’était toujours pas mienne. Je n’avais pas voulu l’apprivoiser alors que mon cœur était ailleurs. Pour moi, cette cité était sa prison. J’y étouffais comme lui. Et je me sentais toujours perdue dans ses avenues, loin de mon désert et de sa liberté.

Je traversais un passage clouté. Il n’y avait aucune voiture autour de moi. Le quartier était désert alors que le jour se levait. On m’avait gardée durant quarante-huit heures -jusqu’à ce qu’un avocat, diligenté par Natascha, vienne me délivrer. Apparemment, les policiers avaient déjà outrepassé leurs droits avec moi. Pendant une garde à vue, nul n’avait normalement le droit d’empêcher un défenseur de parler avec son client -tant et si bien que toute l’enquête sur mon compte avait dû être abandonnée pour vice de procédure. J’avais jubilé ! Mais je ne m’étais pas trop attardée alors que je laissais l’homme de loi sévir. D’ailleurs, il remuait probablement encore ciel et terre dans le commissariat, alors que je me perdais dans une venelle. A cet instant, je remarquais alors le manège d’une camionnette noire. On aurait dit un véhicule de livraison, même s’il n’avait aucune inscription. En fait, il tournait en rond autour d’un pâté de maison. Je haussais les épaules. Il était peut-être aussi perdu que moi, qui cherchais un arrêt de bus ? Mais bien vite, je songeais à autre chose. Je pensais à ma fille, à ma marraine... elles étaient sans doute folles d’inquiétude à l’appartement. Et elles m’attendaient sûrement au salon, avec leur thé et leurs petits gâteaux.

Je leur avais passé un coup de fil dans le hall du commissariat. J’allais très bien, je rentrais vite. En fait, je rêvais de prendre une bonne douche alors que je n’avais pas vu une goutte d’eau en deux jours. On ne m’avait pas laissée dormir, ni me laver. Et la fatigue commençait à se faire sentir -elle engourdissait mes jambes et ma tête. Aussi, je ne pensais qu’à dormir dans mon grand lit. Ensuite seulement, je raconterais mes déboires à ma marraine. Je savais qu’elle attendrait en silence, comme une fidèle amie. Elle avait été la seule lumière de mon cauchemar. J’avais eu une chance folle de la rencontrer au plus profond de ma nuit. Elle avait gardé ma tête hors de l’eau. Elle m’avait remplacée auprès de ma fille. Je lui devais beaucoup. De même, je n’oubliais pas ma dette envers Ian et Joachim -qui s’étaient tous deux volatilisés dans la nature. Fidèles à leur promesse, ils étaient partis aider mon frère. Et ils avaient toute ma confiance, au point que je ne tremblais plus pour mon loup blanc. Si en deux jours, personne ne l’avait retrouvé... c’est qu’il était à l’abri. Sain et sauf. Avec eux.

Je remontais le long du trottoir, je dépassais des résidences de cinq ou six étages. En fait, je me dirigeais vers les quartiers plus huppées, vers Manhattan. C’était sans doute très long à pied, mais je n’étais pas fâchée de marcher. Je dégourdissais mes pauvres jambes endolories. Des fourmis me titillaient à chaque pas. Et alors que je progressais, perdue dans mes pensées, on entendit un brusque coup de frein derrière moi. Je ne compris pas tout de suite ce qui se passait. En fait, j’étais trop occupée à remâcher les derniers évènements -surtout mon rêve. Et je ne vis pas la camionnette qui s’était approchée de moi, rasant la chaussée avant de s’arrêter d’un coup sec. Je perçus simplement le grondement de son moteur. C’était un bruit de bête furieuse, enragée. En fait, c’était moi qu’elle suivait, moi qu’elle attendait depuis le début... Dès qu’elle m’avait aperçue, elle avait filé dans mon sillage. Et en pleine rue, on entendit alors sa portière coulissante qui s’ouvrait à toute allure, comme une gueule béante. Elle était prête à m’avaler. Et de nulle part, deux bras puissants jaillirent pour m’étouffer.

Il n’y avait aucun passant autour de moi. Tout était mort dans ces rues abandonnées. Et à présent, le commissariat n’était plus à portée de vue -ni de voix. Aussi, personne n’entendit mon cri, bientôt étouffé entre des doigts gantés de cuir. Une main rentra alors à moitié dans ma bouche alors qu’on m’attirait en arrière. Des bras s’étaient abattus en travers de ma poitrine, comme des lassos. Et je n’arrivais pas à me débattre, à briser leur carcan. Je tentais pourtant de tourner la tête, de voir quelque chose -en vain. Je n’apercevais que la rue, des bouts de vitrine, mes pieds. Tout tournait autour de moi, tout se mélangeait. Mes cheveux cachèrent bientôt ma figure tandis que je freinais des quatre fers. Pourtant, bizarrement, je n’avais pas peur -en fait, je n’en avais pas le temps. Mon cerveau n’avait pas encore analysé le danger tandis que je cabrais comme une jument rétive. Mes pieds fouettèrent l’air, mes mains griffèrent. Mais je brassais toujours du vide alors que mon agresseur m’emportait en arrière. Et bientôt, je disparus dans le gouffre de la camionnette, impuissante.

Mes agresseurs restèrent invisibles. En une fraction de seconde, j’eus simplement le temps de discerner les mains du kidnappeur et la nuque du conducteur, à l’avant, derrière son volant. Puis plus rien. Mon ennemi avait jeté un sac blanc sur ma tête, comme une cagoule dans un tissu rêche. Je respirais avec peine en dessous alors que je luttais encore. Mais bientôt, on me balança contre le sol du véhicule. Je heurtais alors le plancher de tout mon long, sur un flanc. Et je retins en gémissement alors que je me tortillais au sol comme un ver. Je n’avais jamais été une victime docile, ni facile ! Et au-dessus de moi, mon adversaire poussa un âhanement alors qu’il m’empêchait de me relever. En même temps, à cause du choc, mes tempes battaient fort. Et le sac en toile m’avait fait perdre tous mes repères, me plongeant dans l’obscurité. Je ne pouvais me fier qu’aux odeurs -térébenthine, rouille, moquette, sueur et poussière. Je toussais péniblement. Mais déjà, la portière s’était refermée sur moi, m’emprisonnant dans la cage. Il était trop tard.

Les pneus crissèrent sur le bitume. Et la camionnette démarra en trombe, incrustant de grosses traces noires sur la route. Dans mon coin, j’entendis alors le moteur vrombir. Le conducteur faisait chauffer la mécanique. Et très vite, le véhicule dévora l’avenue, remontant à toute allure les artères pour se fondre dans la circulation. Toute la voiture tremblait, dans un gros bourdonnement, à cause de la vitesse. Et je sentais le sol qui frémissait sous mon corps. De mon côté, je peinais à respirer à cause de la jute qui me rentrait dans ma bouche, dans le nez. Cela ne m’arrêtait pourtant pas. Je gigotais toujours comme un diable, même si j’étais complètement sonnée. Qui étaient ces hommes ? Que me voulaient-ils ? Aussitôt, je pensais à la police, peut-être aux agents fédéraux. Ces personnes n’avaient ni foi ni loi. Et elles étaient bien capables de régler leurs comptes de cette manière. Peut-être m’avaient-elles enlevée pour forcer pour Hannibal à quitter sa cachette ? Si c’était le cas, ils allaient réussir. J’en aurais pleurer de rage. Ça ne pouvait pas se terminer comme ça. Pas à cause de moi.

Mais alors, quelque chose d’étrange se produisit. C’était tellement inattendu que j’étouffais un hoquet. Et je sursautais violemment, scotchée. En fait, les mains de mon ravisseur venaient de frôler ma peau... et elles étaient incroyablement douces. On ne sentait plus une once de violence ou de méchanceté. Au contraire, sa paume s’ouvrit sur mon crâne, l’enveloppant entièrement dans un geste bienveillant, presque paternel. Je déglutis avec peine, choquée. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Plus encore, mon kidnappeur décolla le torchon qui m’encombrait le nez et à la bouche, dégageant mes voies respiratoires. Puis d’une caresse, il apaisa ma peur. C’était bizarre... mais j’avais l’impression de connaître cette main. Elle m’était familière. Et même l’odeur du bras, du poignet, me rappelait quelqu’un. Cette fois-ci, je retins ma respiration, sur le qui-vive. Mais déjà, on m’aidait à me redresser. Il n’était pas question que je reste coucher au sol comme un vulgaire fagot. Deux bras me portèrent, m’aidant à m’asseoir à tailleur entre des objets froids, métalliques -peut-être une caisse à outils. Et des doigts m’époussetèrent avec précaution...

-Je suis vraiment désolé pour l’accueil, Miranda...

Cette voix ! J’étais complètement interloquée -et soudain, j’étais presque satisfaite qu’un sac cache ma tête alors ma bouche restait bêtement ouverte, comme un mouton. Je connaissais très bien mon ravisseur. Aussitôt, la tension retomba, quittant mes veines et mon corps électrisés. Pourtant, le conducteur continuait à rouler comme un fou, distanciant tous les véhicules, fuyant à travers les rues. A cette allure, il était peut-être déjà aux portes de la ville. Mais je ne m’en inquiétais plus. Alors, à nouveau, mon kidnappeur reprit la parole, rassurant, enrobant.

-Et je m’excuse aussi pour la taie d’oreiller. Mais par précaution, il fallait vraiment qu’on croie à un enlèvement.

Je hochais la tête. Et je devinais le sourire de Joachim à travers le tissu rêche qui m’aveuglait. Car c’était mon ami policier qui se tenait face à moi, également assis en tailleur sur le plancher sale de la camionnette. Ses deux mains étaient d’ailleurs posées sur mes épaules, comme un grand frère affectueux et attentif. Il me prenait sous son aile, je n’avais qu’à me laisser faire. Et je ne résistais plus alors que mon cœur battait follement. En fait, j’étais en train de comprendre ce qui m’arrivait. Toutes les pièces du puzzle se mettaient en place, même si je n’osais pas y croire.

-Je comprends, répondis-je d’une voix étouffée.

-C’est le seul moyen pour que vous ne soyez pas en danger, ni l’un ni l’autre. Personne ne pourra te suivre ni savoir où tu te rends. Et toi-même, tu ne pourras rien dire, puisque tu n’auras rien vu.

-Comment va-t-il ?

J’avais parlé d’une voix blanche. Et je ressemblais à un fantôme avec la taie pâle qui me cachait jusqu’à mes épaules. Il y avait tant d’émotions, tant d’amour dans ma gorge, que Joachim détourna très vite la tête. Je voyais sa silhouette se dessiner à contrejour -ou au moins ses contours. Il avait choisi un tissu fin pour que je respire sans peine. Mais curieusement, il tarda à répondre -peut-être parce qu’il cherchait les mots justes. Et derrière son volant, le conducteur se raidit également, apparemment gêné. Quelque chose n’allait pas.

-Il est bien vivant. Mais il n’est sûrement plus l’homme que tu as quitté.

-Je ne l’ai jamais quitté. On me l’a pris.

Le silence retomba sur le véhicule. Et aucun de nous, ni moi, ni Joachim, ni son mystérieux acolyte, n’osa plus le rompre. En fait, il n’y avait plus rien à dire. L’agent fédéral ne pouvait plus fournir aucun détail -ni sur mon frère, ni sur notre destination. Ce n’était pas à lui de m’apprendre la vérité. De toute manière, ce n’était pas une chose qu’on pouvait dire. Il fallait la voir de ses propres yeux, avec son cœur. Et je me préparais déjà au pire alors que nous roulions à toute allure, avalant les kilomètres, les immenses bandes de bitume qui se déroulaient à l’infini. Je me contentais seulement de tendre les mains pour serrer les doigts de mon ami. Je voulais le remercier. Grâce à lui, j’allais retrouver Hannibal. Lorsque nos paumes se touchèrent, je me jetais alors contre lui. Je me dressais sur mes genoux et me laissais tomber en avant, au hasard. Par chance, je m’abattis alors sur sa poitrine tandis qu’il me serrait doucement, me tapotant avec maladresse dans le dos. Il ne savait pas quoi faire de ce corps qu’il avait tant désiré -qu’il désirait peut-être encore.

-Merci.

-Je t’avais fait une promesse. J’ai jeté ton frère en prison. Je te le rends.

A partir de cet instant, je ne sais plus combien de temps dura le voyage. Rapidement, je perdis toute notion du temps. Je n’avais plus aucun indice pour me guider. Je pouvais seulement me fier aux bruits que je percevais à travers les vitres, les portières. En fait, je compris seulement que nous avions quitté la ville pour nous enfoncer vers le sud de l’Amérique. Et j’attendis en silence, pendant des heures -peut-être un ou deux jours. Il n’était pas possible de prendre le train ou l’avion alors qu’on allait sûrement partir à ma rechercher -ou non. Natascha avait été prévenue au dernier moment grâce à un petit mot, tant et si bien qu’elle n’alerterait pas la police pour signaler mon enlèvement. Quant à la police, qui devait me surveiller, elle avait été semée depuis longtemps. Même s’il n’était pas de mèche, mon avocat les avait retenus le temps qu’il fallait à l’intérieur du commissariat. Et nul n’avait eu le temps de me prendre en filature, ni même de remarquer ma disparition. Aussi, je filais vers mon frère comme une comète. Je retournais à la source. A mon origine.

Au bout d’un moment, Joachim déploya une grande couverture sur mes épaules. Il faisait très froid à l’intérieur. J’avais l’impression que nous partions vers le Centre des États-Unis, puis le Sud. Mon instinct ne m’avait trompée. Nous allions rejoindre la frontière du Mexique pour nous enfoncer en Amérique du Sud. Hannibal avait trouvé refuge dans les territoires latins. A deux reprises, nous changeâmes même de voitures, abandonnant la camionnette sur un grand parking de supermarché. Cachée sous ma couverture, je me laissais guider à tâtons. Joachim me tenait la main, m’emportant comme un petit fantôme à l’intérieur d’une nouvelle fourgonnette. C’était le moyen de transport idéal pour m’abriter. Puis, quelques heures plus tard, il m’aida à prendre place dans un dernier véhicule, aux couleurs d’une entreprise brésilienne. Je ne bronchais pas. J’exécutais tous les ordres. Je buvais même à la gourde qu’il me tendait sous la capuche, absorbant l’eau par petites gorgées. Par contre, je ne touchais pas au repas qu’il avait emmené. Je n’avais pas faim. Je n’avais plus de corps. Seulement mon cœur fou.

Aucun mot ne fut plus échangé. Joachim avait tenu parole. Et alors que la tension montait de mon côté, intenable, mon ami s’éloignait de moi. Il était pourtant heureux d’avoir réparé son erreur. A nouveau, il pourrait affronter son reflet dans la glace. Mais cette action aurait sans doute des répercussions terribles sur sa vie, sur sa carrière. Et surtout, il allait me perdre. Il avait occupé une place spéciale auprès de moi durant cette année. Mais déjà, Hannibal reprenait toute sa place. Et en coulant dans mes veines, mon frère chassait hors de mon corps chaque bout de lui. Aussi, il ne prévint pas lorsque la camionnette ralentit. Il savourait les dernières secondes. Et je ne sus que nous étions arrivés qu’au bruit de la portière qui coulisse. Je me figeais. Et bientôt, la capuche glissa, ébouriffant mes cheveux avant de me rendre la vue. Je clichais très vite des paupières. C’était dur, ça faisait mal. Et je restais tapie au fond de l’appareil, incertaine. Allait-on encore changer de voiture ? Joachim secoua la tête. C’était bien fini -pour lui. Et tout commençait, tout recommençait pour moi.

Doucement, le policier m’aida alors à quitter le fourgon. Ses bras me soulevèrent, m’aidant à tenir sur jambes de faon alors qu’un air chaud balayait mon visage. On aurait dit l’été. Et il fallut quelques secondes à mes yeux pour s’habituer à l’obscurité. C’était la nuit noire. Je ne savais même pas dans quel pays nous étions... mais il y avait au ciel des milliers d’étoiles. La voûte était très basse, comme une chape en velours. Il m’aurait suffi de lever la main pour... Pieds dans le sable, je me figeais soudain. J’avais relevé la tête, encore sonnée par le voyage. Et soudain... mon dieu... mon dieu tout puissant... ce ne pouvait être que lui... ce ne pouvait être que lui sur le toit de cette assienda... Je portais mes deux mains à ma bouche pour retenir un cri, un cri qui n’aurait jamais cessé si je l’avais poussé. Car il était là, devant moi. Et sa haute silhouette se détachait devant la lune, au ciel, comme un loup.

Miranda.

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