Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Journal de Miranda
Le Journal de Miranda
Publicité
Archives
Le Journal de Miranda
18 décembre 2010

Les Retrouvailles

Mon cœur battait à tout rompre. J’avais l’impression qu’il allait lâcher. Encore un battement, et je tombais. Avant lui. Pourtant, je hasardais un pas après l’autre. On aurait dit une somnambule qui marchait dans la nuit. Je n’avais plus conscience de mes gestes, de moi, du monde. Il n’y avait plus que lui -à quelques pas. Enfin, le monde retrouvait ses dimensions : à sa mesure. Et je hantais les étoiles alors que ma silhouette frêle se détachait sur un ciel de velours. Je me fondais parmi ces lucioles tandis que je gravissais l’échelle qui menait au toit. D’ailleurs, je ne m’inquiétais même pas de la hauteur ou du vertige alors que je poursuivais mon chemin. J’allais le rejoindre. J’allais le retrouver. Et j’occultais tout ce qui n’était pas lui. Mon évidence. Autour de moi, il n’y avait plus de paysage, plus d’amis. J’avais rayé les hommes merveilleux qui m’avaient conduites jusqu’ici. J’avais effacé la camionnette, garée devant la grande hacienda, à l’ombre de la roseraie. J’avais même détruit les murs, écrasé le temps, oublié la nuit. Seul son corps, entraperçu devant la lune, habitait mon monde. Parce qu’il était tout, depuis si longtemps.

Je tendis une main en l’air, avant de nouer mes doigts sur un dernier échelon. Cette scène n’aurait jamais dû se produire, sinon quarante ans plus tard. Nous aurions alors été bien vieux, deux amants âgés et sans passé commun -sinon quelques mois de magie. Qu’aurait pu nous dire ? Rien de plus ou de moins qu’aujourd’hui. Car rien ne pouvait altérer un amour tel que le nôtre, d’une autre essence. D’une autre espèce. Cette passion n’était pas de ce monde. Elle n’était pas à la taille des hommes, elle excédait les corps et les âmes, elle débordait vers l’éternité. En fait, elle avait introduit en nous un petit bout d’infini. Et tout se résumait à lui, à sa peau, à ses yeux, à sa voix. Comment l’espace pouvait-il se condenser en un seul être ? Il était ma vie et ma mort, ma réponse à tout. Mes mâchoires claquèrent violemment l’une contre l’autre alors que j’approchais. Et enfin, mon pied se posa sur le haut de l’échelle. Je n’arrivais plus à respirer. Ma cage thoracique était bloquée, étouffée dans un carcan de peurs et d’euphorie.

J’en perdais la tête. Et bientôt, j’apparus sur le toit, vêtue de mon jean défraîchi, de mon gros pull et de mes bottes fourrées. Je détonais dans la tiédeur de la nuit, sensuelle et douce. En fait, j’arrivais d’un autre pays, presque d’un autre monde. Et je devinais déjà qu’une galaxie me séparait de mon mari. Il avait passé de longs en mois prison, torturé, enfermé, alors que j’avais goûté chaque jour à ma liberté -grâce à lui. Pourtant, je savais que rien n’allait changer. Tout serait exactement comme avant, au moins entre nous. En même temps, je n’étais pas naïve. Je savais qu’une telle expérience transformait un homme. Mais même si Hannibal avait changé, mon amant, mon amour était toujours intact. Et je m’arrêtais une seconde à l’autre bout du toit. Je me trouvais au bord de la maison, près de la gouttière. A présent, mon frère me tournait le dos alors qu’il observait la lune en silence. On aurait dit qu’il méditait sur le disque d’argent. Il semblait très loin. En fait, il était avec moi. Je n’avais besoin de rien pour le savoir.

Rien ne pouvait nous séparer. Les hommes pouvaient dresser tous les murs entre nous, rien ne briserait notre lien. Nous serions toujours ensemble, même un dans la tombe, même un dans la vie. Et cette certitude mouilla mes yeux, même si je me forçais à ravaler mes larmes. Nous avions survécu à l’enfer. Et en cet instant, alors qu’il était tout proche, je ne savais même plus comment j’avais fait. Comment avais-je respiré un air qu’il n’absorbait pas ? Comment avais-je trouvé un sommeil qu’il ne partageait pas ? Comment étais-je restée debout sans lui ? L’espoir de ce moment m’avait maintenue en vie, comme une béquille. Je n’avais jamais cessé d’y croire. Cet amour-là ne pouvait pas mourir. Cet amour-là vivrait toujours, même après nous. Il excédait ce monde. Et, gorgée nouée, j’osais un pas sur les tuiles bleuâtres. Aussitôt, les oreilles d’Hannibal se dressèrent. Il avait l’air encore plus nerveux, qu’encore plus vif qu’autrefois. Rien ne lui échappait. Et aussitôt, il fit volte-face, se retournant vers moi.

Alors...

Le temps s’arrêta. Le monde s’arrêta de tourner pour nous. Tout se résumait là, ici, à nous. Toute l’histoire des hommes en deux êtres. Tous les amours en nous. Je portais une main à mon visage tandis que mes larmes coulaient. Je ne pouvais plus l’empêcher. Et l’eau salée sillonnait mes joues en rigoles alors que mes doigts comprimaient ma bouche. Il était tellement beau. Et il se dressait à plusieurs mètres, au bord du vide, yeux écarquillés par la stupeur. Apparemment, personne ne l’avait prévenu de mon arrivée -peut-être pour lui éviter de nourrir de faux espoirs. Ses pupilles semblaient aussi énormes que celles d’un drogué. Et à son tour, il ouvrit la bouche sur un grand silence, incapable de prononcer un mot. La langue n’était pas à la hauteur. Rien n’aurait pu traduire l’énormité qui nous écrasait. C’était comme un poids d’amour qui nous frappait, qui nous creusait l’estomac et nous soulevait le cœur. Et pendant une seconde, le visage de mon frère parut transfiguré. J’étais là. J’étais devant lui. L’idole qu’il avait priée, aimée à distance. J’étais le fruits de toutes les prières, la raison à tous les supplices. J’étais son bout du monde. J’étais son au-delà, sa mort après la vie.

Comment y croire ? J’avançais encore d’un pas. Je tremblais comme une feuille. Je n’arrivais plus à maîtriser les frissons compulsifs qui me secouaient comme un pantin. On aurait dit que j’allais me briser. Et je me raccrochais à ses yeux. Eux n’avaient pas changé -contrairement au reste de son corps. Ils étaient toujours cousus dans le même ciel bleu, comme un carré d’azur. Et ils me regardaient toujours avec le même amour, la même douleur. Alors, je me jetais vers lui. Mes pas retentirent, cognant bruyamment les tuiles. J’avais des ailes pour lui. Et je volais à sa rencontre tandis qu’il ouvrait les bras, prêt à me recevoir. Plus que trois secondes. Sa poitrine maigre était pour moi, mon abri. Deux secondes. L’impact était imminent. Une seconde. Mon rêve... mon rêve... Et brutalement, nos deux corps s’accolèrent. Alors, tout se jeta en lui. Tous les fleuves du monde aboutirent à nous, toutes les musiques, comme dans un océan. Et nos bouches se trouvèrent à l’aveuglette. Nous n’étions plus qu’un. Et je n’arrivais même plus à discerner mes bras des siens, mes jambes des siennes. C’était tout.

Son baiser me cloua sur place. Nous flottions en apesanteur au sommet du toit, à tire-d’ailes. En contrebas, les hommes qui m’avaient emmenée ne pouvaient pas détourner la tête. Ils nous avaient vus nous jeter l’un vers l’autre, avec la force du désespoir. Et personne ne restait insensible à ce spectacle. C’était toutes les amours perdues qui revivaient en nous. Et Joachim déglutit avec peine alors que notre couple le fascinait. Tout le monde voulait goûter à ça pour soi. C’était le but de toutes les vies. Nous étions tous les rêves. Et sur le toit, je m’effondrais contre mon frère, épuisée, à bon port. J’avais regagné ma seule et unique place alors que ses bras m’entouraient. Ils formaient comme une ceinture autour de moi. En fait, ils n’étaient plus prêt à me lâcher. Jamais. Et je noyais notre baiser de larmes, cassée en deux. Je retrouvais son corps adoré, et les milliers de nuits d’amour, et les centaines de nuits solitaires. Tout se mélangeait dans mes gros sanglots tandis que je reniflais et l’embrassais en même temps. Son goût me remplissait la bouche. Sa langue était en velours, comme ses mains, toujours si douces et fortes.

L’amour absolu. En nous regardant, il n’y avait plus aucun doute possible. Même les incrédules y auraient cru de toute leur foi. Nous aurions même les athées à genoux. Ça existait. Ça vivait en nous. C’était l’amour qu’on écrivait, qu’on chantait, qu’on filmait depuis des siècles et des années. C’était l’amour qu’on rêvait pour soi dans un coin de lit, à l’adolescence. C’était l’amour dont on faisait la deuil, un soir, sur sa tombe. C’était l’amour qu’on cherchait toute sa vie, dans toutes les rues, dans tous les êtres. Et c’était notre amour. Je rendis son baiser à mon frère, avec la même passion. Nous aurions pu récréer un monde à nous deux. Nous étions le monde de l’autre. Mes mains passèrent de ses cheveux alors que je tenais sa tête entre mes doigts. J’avais enfoncé mes paumes dans ses longues mèches blondes, qui caressaient à présents ses épaules. Sa chevelure avait grandi d’une bonne dizaine de centimètres. Et son visage, son menton et ses joues, disparaissaient à moitié sous une barbe très épaisse, broussailleuse. Il portait sur lui les stigmates de la prison. Mais moi, j’effaçais tout avec ma bouche, mes caresses, mes soupirs. Je le lavais de l’horreur. J’avais ce pouvoir.

-Je t’aime, je t’aime, je t’aime...

-Dis-le moi encore.

-Je t’aime à en crever. Je t’aime depuis toujours, pour toujours, pour jamais, pour maintenant. Je t’aime à être folle.

-Dis-le, dis-le encore.

-Je t’aime, Hannibal. Je t’aime.

Il avait toujours refusé ces mots, il les avait longtemps chassés d’une main comme des mouches. Il avait même plaqué ses mains sur ses oreilles pour ne rien entendre, pour ne pas savoir. Longtemps, il ne s’en était pas cru digne. Mais à présent, je déversais tout mon amour comme un baume, je réparais le trou béant des geôles, je bouchais à sa vue toutes les horreurs vécues. Je devenais sa muraille, aussi forte, aussi infranchissable. Et je le forçais à me regarder dans les yeux, en tenant sa tête entre mes paumes moites. Nos yeux s’accrochaient, se cherchaient. Bleu sur bleu. Ciel sur mer. Alors, à son tour, il se mit à pleurer. Cet homme que je n’avais jamais faible ou fragile, sanglota dans mes bras. De l’eau amère s’écoula en silence, barrant ses joues creusées, si maigres qu’on pouvait presque compter ses dents. Mais je tenais toujours son visage et je me penchais sur lui comme une mère. Je bus alors ses larmes, pour qu’il n’en verse plus jamais. Elles avaient un goût terrible, noir, lourd. Mais elles roulèrent sous ma langue alors que je l’empêchais d’être triste. Pas tout de suite. Et même jamais. Pas tant que je vivrais.

Je n’avais aucune idée de ce qu’il avait vécu en prison. Mais j’en voyais à présent les traces en face de moi. Son corps ne mentait pas, dérisoire sous la fine chemise de cotonnade, beaucoup trop grande pour lui, qu’il portait. C’était terrible. Tous ses os saillaient. On aurait dit un tas d’ossements. On voyait même ses omoplates, comme de longues lignes dures, qui pointaient sous le tissu. Sa poitrine était aussi creuse qu’une caisse de résonance. Et ses jambes, pareilles à des bâtons de bois, disparaissaient son un jean flou. Il n’avait pas du manger pendant des semaines. De même, ses lèvres étaient craquelées par le manque d’eau. Il n’avait sans doute pas bu très souvent -juste assez pour rester en vie et souffrir encore. Et dans notre baiser, pour mégarde, j’avais arraché des croûtes sanglantes. En plus, son visage était également marqué par l’enfer. Des cernes noires alourdissaient son regard. En fait, on aurait dit que ses yeux étaient très enfoncés dans leurs orbites, que son nez était plus grand que d’habitude. Et entre mes doigts, des cheveux restaient par poignée. Il n’était plus qu’une loque.

-Tu es là... tu es là... ma petite belle chérie... ma petite sœur adorée...

-On ne sera plus jamais séparés.

-Jure-le. Jure-le, mon petit ange.

-Je resterais toujours avec toi. Même si je dois nous tuer pour ça.

Nos corps dansaient au bord du vide. Nous n’avions plus conscience du gouffre qui s’ouvrait à nos pieds. Et, entrelacés, nous tournions sur nous-mêmes. En fait, nous ressemblions à deux naufragés. Nous avions tapé au fond de l’eau pour remonter à la surface, arrimés l’un à l’autre. Et nous nous agrippions à notre radeau, pour mourir ou vivre ensemble. Qu’importait. C’était la même chose. Mais à deux. Et nos silhouettes se balançaient vers la chute. On aurait dit que nous flirtions avec le danger, que nous voulions tomber. D’ailleurs, en contrebas, Joachim et son chauffeur retinrent leur souffle. Mais nous étions entre deux mondes, encore incapables de faire la différence. Nos peaux semblaient attirées par le risque, par la mort qui attendait plus bas. Et nos corps jouaient avec la peur alors que nos cœurs battaient à casser. En même temps, nos lèvres décrivaient un ballet. On s’embrassait, on s’éloignait, on se touchait du nez, de la bouche, on s’esquivait. Nous étions emmêlés. Quatre bras, quatre jambes, deux têtes... et une âme. Deux corps et une âme. Pour toujours. Quoiqu’ils feraient tous, quoiqu’ils diraient demain, quoiqu’ils décideraient à notre place... plus rien n’était possible. Nous nous jetterions dans le vide s’ils ne nous laissaient pas nous aimer.

Mais à cet instant, quelque chose de froid coula sur moi. Et je poussais un petit cri de surprise, incrédule. Qu’est-ce que... ? Je me figeais dans ses bras alors que mon frère ne comprenait pas. En fait, son sang était en train d’imbiber sa chemise, de se répandre sur mon pull. Il saignait. C’était son sang de reptile, toujours aussi glacé. D’une main tremblante, j’écartais alors les pans de tissu. Et avec un cri de douleur, je découvrais alors les innombrables cicatrices qui balafraient son corps. Pourtant, je me rappelais encore de toutes les blessures qu’il avait reçues durant notre cavale et qui s’étaient effacées très vite, grâce à son peau étrange -sa peau de Waagal. Ma bouche s’arrondit. Pour garder toutes ces marques, il avait dû endurer un martyr. Ses gardiens n’avaient jamais dû laisser aucune plaie se fermer, s’acharner encore et encore pour le couturer. Mes lèvres tremblotèrent.

-Je t’ai blessé !

-Pas toi ! Jamais toi !

Et pourtant... c’était moi qui avait rouvert ces entailles. C’était sous mon impact que les balafres rouges s’étaient écartées jusqu’à vomir rouge, inonder sa chemise. J’avais encore agrandi ses stigmates. Je secouais alors la tête, choquée, assommée par ce bout de vérité qui explosait à mon visage. Et mes larmes coulèrent dans son sang tandis que je me penchais déjà vers les entailles. Elles étaient très longues, très larges, vraiment atroces. Et à mon tour, comme il l’avait si souvent fait avec moi, je léchais le fluide vermeil. J’y trempais d’abord la pointe de ma langue, remontant le long de l’arcade. Puis je bus à la source, comme un vampire. Je prenais tout pour moi. Je ne laissais rien couler à côté. En fait, je ne voulais plus qu’on verse le moindre bout de lui. Je gardais tout, je sauvais tout. Et mon frère pencha la tête en arrière alors qu’il enfonçait une main dans mes cheveux. J’essayais de réparer tout le mal qu’on lui avait fait. Et Hannibal ne se dérobait pas. Comme au début de notre étreinte, il ne disait rien -parce qu’il était prêt à agrandir ses plaies si cela lui permettait de me tenir dans ses bras. Il serait mort en sang si c’était contre moi.

Je léchais consciencieusement ses entailles énormes. Je n’étais plus prête à rien perdre. J’avais posé mes deux paumes à plat sur sa poitrine, presque au niveau de ses épaules. Et je n’avais pas peur de ce corps si fragile, encore plus maigre que le mien. Pourtant, j’avais perdu beaucoup de poids au cours des derniers mois, jusqu’à ressembler à une vulgaire brindille. On aurait dit un fétu de paille. Mais ce n’était rien en comparaison de mon frère. D’ailleurs, je ne savais même pas comment il tenait encore debout -sinon pour moi. Tout en buvant son sang, je relevais alors la tête pour le regarder, éperdue. Et ses yeux me répondirent, très doux, très malades. Je suçais tout le flux sans le quitter des yeux. Et, après avoir mélangé nos salives, il me vint une idée. Je m’écartais doucement, à peine -de toute manière, il ne l’aurait pas permis. Il ne pouvait plus supporter qu’on casse le lien. Aussi, je me contentais de baisser les bras le long de mon corps. Et je les entaillais alors sur toute la longueur, à l’aide de ma ceinture. En effet, je parvins à ouvrir ma chair grâce à la boucle. Et à son tour, mon sang coula.

Je relevais mes bras abimés devant mon frère. Ses yeux se dilatèrent, bouleversés. C’était ma souffrance qu’il ne pouvait pas supporter -la sienne ne l’affectait pas. Il n’existait pas, pas tant que je vivrais. Je le rassurais alors d’un sourire tandis que deux grandes lignes rouges, comme des éraflures, apparaissaient de plus en plus distinctes. Elles s’étiraient de mes poignées à mes coudes. Et en quelques secondes, un sang chaud me barbouilla. Hannibal secoua la tête, déjà prêt à me soigner. D’un regard, il chercha de l’aider autour de lui. Mais je le retins. Et lentement, j’accolais mes deux bras sur sa poitrine. Je les apposais avec douceur. Et je laissais nos deux sangs s’écouler en même temps. On se mélangeait. Alors, Hannibal comprit enfin. Nous ne pouvions régler ça autrement. Il fallait qu’on se mêle, qu’on passe un pacte de sang. Aussi éternel que nous. Alors, un petit sourire -son premier sourire- étira ses lèvres. Et avec une délicatesse infinie, il s’empara de mes poignées. Nos yeux ne se quittaient plus. On refusait de se lâcher alors que nos bassins étaient toujours soudées. Nous n’étions plus qu’un bloc unique. Et ses doigts serraient comme un garrot mes bras. Il les porta à sa bouche. Et à son tour, il se mit à boire mon essence.

Je sentis ses lèvres, et même le bout de ses dents, contre moi. En fait, on aurait dit qu’il m’aspirait. Et peu à peu, ses yeux se fermèrent. On ne voyait plus qu’un mince filet bleu entre ses paupières mi-closes, derrière ses cils blonds. Il se nourrissait de moi. Et il buvait à l’origine, à sa source. Il retrouvait sa force vitale alors qu’il m’absorbait. Je me laissais faire, consentante. Et bientôt, il se détacha par la force de moi -peut-être pour me laisser un peu d’énergie. Nos sourires se répondirent. Et nos dents étaient couvertes de sang. Alors, ce fut irrésistible. Nous nous jetâmes l’un sur l’autre, mus par une pression irrépressible, plus forte que nous, plus forte que la survie. La nuit veillait sur nous. Et elle nous cacha dans ses replis alors que nous tombions à genoux, face à face. En fait, nous étions perdus dans une flaque de notre sang. Nos pantalons s’imbibèrent, maculés de traînées écarlates. Nos respirations devinrent saccadées, très heurtées. Mais on se raccrochait à l’autre. Et de nos mains, nous barbouillons l’autre, étalant sur ses pommettes, sur son nez, de la peinture rouge. Mon frère redessina même le contour de mes lèvres avec son sang.

On se marquait à jamais.

On passait un pacte éternel.

Plus jamais nous ne serions séparés.

Ici ou ailleurs.

Miranda.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité